Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/723

Cette page a été validée par deux contributeurs.
719
REVUE. — CHRONIQUE.

avec la gauche ! Le roi joignit les mains d’effroi, il en croyait à peine ses oreilles.

Le maréchal Soult eut avec M. Molé une conférence dans laquelle ses opinions se trouvèrent un peu modifiées ; mais le fond resta le même. Le maréchal Soult arrivait du fond de ses terres, avec un levain d’aigreur qui avait fermenté, depuis plusieurs mois, dans la solitude. Il l’exhalait sans ménagement contre M. Guizot et tous ses anciens collègues qui l’avaient, disait-il, si indignement traité. Sa colère s’étendait jusqu’au noyau ministériel qui siége sur les bancs doctrinaires de la chambre, et auquel il avait à reprocher les plus mauvais procédés. M. Molé, fidèle à ses opinions, lui démontra qu’il y avait autant de danger pour un ministère nouveau à se lancer dans les réactions contre-révolutionnaires qu’à se jeter au-devant de la gauche, et il lui démontra que ce système le mènerait infailliblement à une dissolution de la chambre, peut-être même à une réforme de la loi électorale. Alors le maréchal, un peu calmé, demanda qu’on voulût bien lui accorder quelque confiance en sa qualité de vieux stratégiste, et promit de ne s’appuyer sur la gauche de la chambre que le plus légèrement possible, et sans froisser les rangs du centre. Mais le maréchal insistait toujours pour l’admission dans le ministère de deux noms de la gauche, et il ne put tomber d’accord avec M. Molé. Pour ce qui est de l’amnistie, M. Molé, s’étant toujours montré l’homme politique le plus opposé au procès, en faisait la première condition de son entrée dans le cabinet. Il la voulait complète, sans retard, et par une ordonnance ; le maréchal la mettait en question, en exigeant qu’une loi fût présentée à cet effet à la chambre. Ce fut un second motif de désaccord entre lui et M. Molé, et ils se séparèrent.

Au reste, le château consentait à l’amnistie. M. Molé voyait chaque jour le roi, et son esprit droit et loyal lui avait fait comprendre l’opportunité et le besoin de cette généreuse mesure.

Nous n’avons pas parlé de M. Sébastiani, qui était arrivé tout des premiers d’Angleterre pour jouer aussi son rôle de comparse dans cette burlesque comédie. C’est que M. Sébastiani n’était, en cette affaire, que l’ami de la maison, qu’on mandait pour venir augmenter le conseil de famille. On eût bien volontiers chargé M. Sébastiani d’un portefeuille et de la présidence, et la lettre qu’on lui adressa à Londres laissait percer cette intention ; mais, comme nous le disions dans notre dernière chronique, M. Sébastiani avait répondu de Douvres, où le gros temps le retenait, qu’il n’accourait que par obéissance, ne se mêlerait en rien de la combinaison nouvelle, et ne souhaitait rien tant que de retourner à Londres. Il faut dire aussi qu’en voyant l’air dispos et la bonne mine de M. Sébastiani,