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le ministère se trouva dissout. Tout cela eut lieu sans qu’une seule démission eût été donnée, à l’exception de celle du duc de Trévise ; mais il y avait impossibilité de demeurer ensemble.

La place étant ainsi bien nette, les grandes intrigues ministérielles purent s’agiter à l’aise ; il y a eu ici tant de coteries en jeu, qu’il est essentiel de les dessiner toutes, et de donner à chaque homme la part qu’il a eue dans le résultat. Le roi n’avait que deux idées fixes, que deux personnes sur lesquelles il comptait spécialement : le maréchal Soult et M. Sébastiani. Quant à M. Molé, le roi, qui redoute ses principes arrêtés, voulait se servir de lui comme intermédiaire et comme instrument, pour s’assurer la majorité de la chambre, si elle le forçait à subir des conditions.

Il y a dans l’esprit du roi une certaine contradiction qu’on doit signaler, parce qu’elle explique bien des faits. Le roi a de la répugnance pour le personnel des doctrinaires, mais il aime leurs principes de gouvernement. Ainsi il ne peut souffrir M. de Broglie qu’il appelle S. M. de Broglie Ier ; mais les théories répressives et sociales du parti doctrinaire plaisent à son esprit. Le roi a été opposé à l’amnistie aussi fortement que l’est M. Guizot : il veut refaire la société aristocratique et bourgeoise, telle que les doctrinaires la comprennent.

Par une autre contradiction qu’il est facile de s’expliquer, le roi a une grande affection pour le maréchal Gérard ; mais jamais il n’adoptera les théories gouvernementales et indulgentes de la fraction d’opinion que représente le maréchal. Il les regarde comme un danger pour le trône, qu’il faut garantir de l’esprit factieux. On voit dans quelle position délicate se trouvait la couronne pendant ces derniers temps.

Quand le roi a mandé près de lui le maréchal Soult, il pensait que le maréchal était le seul homme qui pût réaliser ses doctrines de force et de souplesse tout à la fois ; le roi comptait sur lui comme sur un caractère dévoué, prêt à entrer dans toutes les combinaisons, excepté dans un ministère doctrinaire ; mais le maréchal, avec son vieux instinct des partis, a mieux compris sa position. Sachant toute la dépopularité dont on l’avait accablé, il a senti qu’il ne pouvait avoir une certaine force auprès du roi et dans le pays, qu’en s’associant à quelques noms parlementaires, et en se faisant le champion de l’amnistie et des idées libérales. Qu’on s’imagine donc l’étonnement du roi, lorsqu’au lieu de trouver cette obéissance à laquelle il était accoutumé dans le maréchal, il le vit lui opposer une volonté arrêtée, et vraiment nouvelle. Le maréchal posa comme première condition de son ministère, l’amnistie, et comme seconde condition non moins impérieuse, l’entrée au ministère, non-seulement de certains hommes du tiers parti, mais même de M. Odilon Barrot, ce qui était un rapprochement complet