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qui passe parmi les siens pour avoir lu sans horreur les abominables compositions en prose et en vers de l’école philosophique du xviiie siècle. Il est même accusé de savoir par cœur des tirades entières de Voltaire, et de ravaler la dignité de la noblesse jusqu’à fréquenter d’habitude des plébéiens qui n’ont pas même passé par la première épuration de l’anoblissement royal.

On raconte à ce sujet qu’un sénateur d’extraction populaire, célèbre en Belgique par sa fortune industrielle, vint un jour visiter l’un des membres de l’illustre famille. Sa démarche fut trouvée si inconvenante, que les dames levèrent le siége et jugèrent à propos d’abandonner le salon. Je cite ce fait moins comme une critique que parce qu’il exprime à merveille ce sentiment d’aristocratie dont on chercherait vainement chez nous une aussi énergique tradition.

M. de Robiano d’Ostregnies, frère du comte François de Robiano, siége aussi parmi les membres du sénat. Quoique plus franchement dévoué à son parti, il est loin, par sa position sociale et politique, autant que par ses moyens intellectuels, de jouir du même crédit que son frère aîné.

M. Robiano de Borsbeke se fait remarquer plus encore que ses deux frères par l’ardeur de ses opinions. Il est un de ceux qui excitèrent le plus violemment le peuple contre le gouvernement du roi Guillaume. C’est un homme de mœurs irréprochables, sévère pour lui comme pour les autres, et jaloux par-dessus tout de l’honneur de sa maison et de ses priviléges de caste, priviléges perdus et abolis à tout jamais, mais dont il conserve les titres comme un droit qui plus tard peut reprendre son empire. L’anecdote suivante le peindra tout entier.

L’année dernière un enfant lui naquit. Il se présenta devant le curé de sa paroisse avec le parrain et la marraine qu’il avait choisis. Questionné sur les noms et qualités de ce nouveau fils :

Inscrivez, dit-il, messire de Robiano.

Le curé objecta que cette qualification de messire n’avait plus de cours, et qu’il était plus simple d’inscrire le nouveau-né sous le nom de comte de Robiano, sur quoi M. de Borsbeke prouva gravement que l’aîné seul de sa famille avait le droit de porter le titre de comte, et que de temps immémorial celui de messire avait été