Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/668

Cette page a été validée par deux contributeurs.
664
REVUE DES DEUX MONDES.

Mlle Marteau se maria ; et le surlendemain de ses noces, lorsque les voisins et les parens furent rentrés chez eux satisfaits et malades, elle invita ses amies d’enfance à venir dîner sur l’herbe, à une métairie qui lui avait servi de dot, et qui était située auprès de la ville. Ces jeunes personnes faisaient toutes partie de la meilleure bourgeoisie de la province ; néanmoins Geneviève y fut invitée. Ce n’était pas la première fois que ses manières distinguées et sa conduite irréprochable lui valaient cette préférence. Déjà plusieurs familles honorables l’avaient appelée à leurs réunions intimes, non pas comme ses compagnes, à titre d’ouvrière en journée, mais en raison de l’estime et de l’affection qu’elle inspirait. Toute la sévère étiquette, derrière laquelle se retranche la société bourgeoise aux jours de gala pour se venger des mesquineries forcées de sa vie ordinaire, s’était depuis long-temps effacée devant le mérite incontesté de la jeune fleuriste : elle n’était regardée précisément ni comme une demoiselle, ni comme une ouvrière ; le nom intact et pur de Geneviève répondait à toute objection à cet égard. Geneviève n’appartenait à aucune classe, et avait accès dans toutes.

Mais cette gloire, acquise au prix de toute une vie de vertu, cette position brillante où jamais aucune fille de sa condition n’avait osé aspirer, Geneviève l’avait perdue à son insu : elle était devenue savante, mais elle ignorait encore à quel prix.

Justine Marteau, aimable et bonne fille, étrangère aux caquets de la ville, lui fit le même accueil qu’à l’ordinaire : mais les autres jeunes personnes, au lieu de l’entourer, comme elles faisaient toujours, pour l’accabler de questions sur la mode nouvelle et de demandes pour leur toilette, laissèrent un grand espace entre elles et la place où Geneviève s’était assise. Elle ne s’en aperçut pas d’abord ; mais le soin que prit Justine de venir se placer auprès d’elle lui fit remarquer l’abandon et l’espèce de mépris que les autres affectaient de lui témoigner. Geneviève était d’une nature si peu violente, qu’elle n’éprouva d’abord que de l’étonnement ; aucun sentiment d’indignation ni même de douleur ne s’éveilla en elle. Mais lorsque le repas fut fini, plusieurs demoiselles, qui semblaient n’attendre que le moment de fuir une si mauvaise compagnie, demandèrent leurs bonnes et se retirèrent ; les autres se divisèrent par groupes et se dispersèrent dans le jardin, en évitant