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ANDRÉ.

Il alla vers le soir à la ville. Il s’assit à l’écart sur un des bancs de la promenade, espérant qu’elle passerait peut-être ; mais il vit défiler par groupes toutes les filles de la ville, sans apercevoir le petit pied de Geneviève. Il se rappela qu’elle ne sortait jamais à ces heures-là ; il rôda autour de la maison Marteau, sans oser y entrer, car il éprouvait une répugnance infinie à laisser deviner ce qui se passait en lui. À l’entrée de la nuit, il vit sortir Henriette et ses ouvrières. Geneviève n’était point avec elles. S’il avait su où elle demeurait, il se serait glissé sous sa fenêtre, il l’eût peut-être aperçue ; mais il ne le savait pas, et pour rien au monde il ne l’eût demandé à qui que ce fût.

Le lendemain il revint dans la journée, et, tâchant de prendre l’air le plus indifférent, il alla voir Joseph. Joseph ne fut pas dupe de ce maintien grave. Voyons, lui dit-il, pourquoi ne parles-tu pas de la seule chose qui t’intéresse maintenant ? Tu voudrais bien voir Geneviève, n’est-ce pas ? Ce n’est pas aisé ; j’y pensais ce matin ; je cherchais un expédient pour avoir accès dans sa maison, et je n’en ai pas trouvé. Il faudra bien pourtant que nous en venions à bout. Henriette nous aidera.

L’obligeance indiscrète de Joseph choqua cruellement son ami. Il se mit à rire d’un air sec et forcé, en lui déclarant qu’il ne comprenait rien à cette plaisanterie, et qu’il le priait de ne pas l’y mêler davantage.

— Ah ! tu fais le fier ! Tu te méfies de moi ! dit Joseph un peu piqué. Eh bien ! comme tu voudras, mon cher, tire-toi d’affaire tout seul, puisque tu n’as pas besoin d’aide.

André s’affligea d’avoir offensé un ami si dévoué ; mais il lui fut impossible de revenir sur son refus et sur son désaveu. Il se retira assez triste. Le bon Joseph s’en aperçut, et, pour lui prouver qu’il n’avait pas de rancune, il le reconduisit jusqu’au bout de l’avenue de peupliers qui termine la ville. Avant de sortir d’une petite rue tortueuse et déserte, il lui montra une vieille maison de briques, dont tous les pans étaient encadrés de bois noir grossièrement sculpté. Un toit en auvent s’étendait à l’entour, et ombrageait les étroites fenêtres. — Tiens, dit Joseph, en lui montrant deux de ces fenêtres, éclairées par le soleil couchant et couvertes de pots de fleurs, c’est là que Rose respire. Monter l’escalier, ce