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neviève aussi bonne enfant. Cependant lorsque l’après-midi s’avança, Joseph fit observer que le besoin d’un repas plus solide se faisait sentir, qu’on avait assez admiré le Château-Fondu, et qu’il était convenable de chercher un dîner et une autre promenade dans les environs. André tremblait en songeant au voisinage du château de son père, et à l’orage qui l’y attendait, lorsque Joseph mit le comble à son angoisse en s’écriant : — Eh parbleu ! le château de notre ami André est à deux pas d’ici ; le père Morand est le meilleur des hommes, c’est mon ami intime, il nous recevra à merveille ; allons lui demander un dindon rôti et du vin de sa cave : André, montre-nous le chemin, et passe devant nous pour nous faire les honneurs.

André se crut perdu ; mais, comme tous les gens faibles, qui n’osent jamais s’arrêter, et s’embarquent toujours dans de nouvelles difficultés, il se résigna à braver toutes les conséquences de sa destinée, et remonta en voiture avec Geneviève et ses compagnes. Cependant, à mesure qu’il approchait des tourelles héréditaires, une sueur froide se répandait sur tous ses membres. Dans quelle colère il allait trouver le marquis ! car l’enlèvement du cheval et du char-à-bancs devait, depuis plusieurs heures, causer dans la maison un scandale épouvantable ; et le marquis était incapable, pour quelque raison humaine que ce fût, de sacrifier aux convenances le besoin d’exhaler sa colère. Quel accueil pour Geneviève, qu’il eût voulu recevoir à genoux dans sa demeure ! et quelle mortification pour lui, d’être traité devant elle comme un écolier pris en fraude ! Il arrêta son cheval à deux portées de fusil de la maison et descendit. Il s’approcha de la patache, pria Joseph de descendre aussi, et, l’emmenant à quelque distance, il lui confia ses embarras. — Ouais ! dit Joseph, ce vieux renard est-il sournois à ce point-là ? Lui qui fait semblant d’être si bonhomme ! Mais ne crains rien ; personne, fût-ce le diable, n’osera jamais regarder de travers celui qui s’appelle Joseph Marteau. Monte dans ma voiture, et donne-moi le fouet du char-à-bancs ; je passe le premier, et je prends tout sur moi.

En effet Joseph fouetta, d’une main arrogante, les flancs respectables du cheval du marquis, et il fit une entrée triomphale dans la cour du château. Le marquis était précisément à la porte