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ne s’occupait qu’à l’amuser, tout en s’amusant pour son propre compte. Sans doute André ne pouvait pas avoir d’ami plus utile. Il le retrouva donc avec plaisir, et, confié par son père à ce gouverneur de nouvelle espèce, il se laissa conduire partout où le caprice de Joseph voulut le promener.

Celui-ci commença par décréter que, vivant seul, André ne pouvait être amoureux. — André garda le silence. — Joseph reprit en décidant qu’il fallait qu’André devînt amoureux. — André sourit d’un air mélancolique. — Joseph conclut en affirmant que, parmi les demoiselles de la ville, il n’y en avait pas une qui eût le sens commun, que ces précieuses étaient propres à donner le spleen plutôt qu’à l’ôter, qu’il n’y avait au monde qu’une espèce de femmes aimables, à savoir les grisettes, et qu’il fallait que son ami apprît à les connaître et à les apprécier, ce à quoi André se résigna machinalement.

iii.

Les romanciers allemands parlent d’une petite ville de leur patrie où la beauté semble s’être exclusivement logée dans la classe des jeunes ouvrières. Quiconque a passé vingt-quatre heures dans la petite ville de L……, en France, peut attester la rare gentillesse et la coquetterie sans pareille de ses grisettes. Jamais nid de fauvettes babillardes ne mit au jour de plus riches couvées d’oisillons espiègles et jaseurs ; jamais souffle du printemps ne joua dans les prés avec plus de fleurettes brillantes et légères. La ville de L…… s’enorgueillit à bon droit de l’éclat de ses filles ; et de plus de vingt lieues à la ronde, les galans de tous étages viennent risquer leur esprit et leur prétention persuasive dans ces bals d’artisans où, chaque dimanche, plus de cinquante petites commères étalent sous les quinquets leurs robes blanches, leurs tabliers de soie noire et leur visage couleur de rose.

Comment la toilette des dames de la ville suffit à faire travailler et vivre toutes ces fillettes, c’est ce qu’on ne saurait guère expliquer, sans avouer que ces dames aiment beaucoup la toilette, et qu’elles ont bien raison.