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ANDRÉ.

pouvait être douce, active, facile et sage derrière les vieux murs du château de Morand.

Mais André de Morand, le fils unique du marquis, n’en jugeait pas ainsi ; il faisait de vains efforts pour se renfermer dans la sphère de cette existence qui convenait si bien aux goûts et aux facultés de ceux qui l’entouraient. Seul et chagrin parmi tous ces gens occupés d’affaires lucratives et de commodes plaisirs, il s’adressait des questions dangereuses : « À quoi bon ces fatigues ? et que sont ces jouissances ? Travailler pour arriver à ce but, est-ce la peine ? Quel est le plus rude, de se condamner à ces amusemens, ou de se laisser tuer par l’ennui ? » Toutes ses idées tournaient dans ce cercle sans issue, tous ses désirs se brisaient à des obstacles grossiers, insurmontables. Il éprouvait le besoin de posséder ou de sentir tout ce qui était ignoré de ses proches ; mais ceux dont il dépendait ne s’en souciaient point, et résistaient à sa fantaisie sans se donner la peine de le contredire.

Lorsque son père s’était décidé à lui donner un précepteur, ç’avait été par des raisons d’amour-propre, et nullement en vue des avantages de l’éducation. Soit disposition invétérée, soit l’effet du désaccord établi par cette éducation entre lui et les hommes qui l’entouraient, le caractère d’André était devenu de plus en plus insolite et singulier aux yeux de sa famille. Son enfance avait été maladive et taciturne. Dans son âge de puberté, il se montra mélancolique, inquiet, bizarre. Il sentit de grandes ambitions fermenter en lui, monter par bouffées, et tomber tout à coup sous le poids du découragement. Les livres dont on le nourrissait pour l’apaiser ne lui suffisaient pas, ou l’absorbaient trop. Il eût voulu voyager, changer d’atmosphère et d’habitudes, essayer toutes les choses inconnues, jeter en dehors l’activité qu’il croyait sentir en lui, contenter enfin cette avidité vague et fébrile qui exagérait l’avenir à ses yeux.

Mais son père s’y opposa. Ce joyeux et loyal butor avait sur son fils un avantage immense, celui de vouloir. Si le savoir eût développé et dirigé cette faculté chez le marquis de Morand, il fût devenu peut-être un caractère éminent ; mais né dans les jours de l’anarchie, abandonné ou caché parmi des paysans, il avait été élevé par eux et comme eux. La bonne et saine logique dont il était