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le traité du 6 juillet 1827, qui constituait l’indépendance de la Grèce, la Russie avait profondément ulcéré la Porte. L’occupation de la Moldavie et de la Valachie était devenue bientôt l’occasion d’une rupture. L’ambassadeur du czar avait quitté Constantinople. Une guerre éclatait entre les deux empires, qui pouvait être grave, si l’Angleterre prenait fait et cause pour le sultan.

D’après les instructions de M. de Nesselrode, M. Pozzo di Borgo fit de sérieuses ouvertures à notre cabinet. Il demandait à la France, non pas une coopération active en Orient, mais une neutralité armée, capable au besoin de tenir en respect l’Autriche et l’Angleterre. Pour prix de cette alliance, il montrait en perspective la restitution de notre frontière naturelle du Rhin, qu’on saurait bien obtenir de la Prusse et de la Hollande. Ces offres avaient paru peut-être peu sincères ; la négociation n’avait guère été poussée qu’en paroles ; l’alliance demeurait un projet. Toutefois, la marche des Russes dans les Balkans n’était ni rapide ni triomphante ; il y avait eu des siéges meurtriers, des batailles douteuses ; la situation de M. Pozzo di Borgo à Paris devenait difficile ; on ne parlait plus que des échecs des armées du czar ; mais son ambassadeur montrait partout une inaltérable assurance. « Attendez, disait-il, attendez ; vous verrez si nous ne savons pas le chemin de Constantinople. » Et en effet, l’année suivante, l’avant-garde de Nicolas menaçait la capitale de Mahmoud.

Alors venait de s’opérer la brusque révolution ministérielle qui avait porté le prince de Polignac au pouvoir. Certes, il ne s’agissait plus maintenant d’alliance russe : M. de Polignac était tout aux Anglais, corps et âme ; mais il s’agissait de la vie de la royauté. M. Pozzo di Borgo vit d’abord quel abîme elle avait creusé sous son trône ; il expédia courriers sur courriers à son gouvernement pour lui signaler une catastrophe imminente ; il montra le danger si évident, que le czar s’en ouvrit à M. de Mortemart, notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg. « On prépare des coups de folie à Paris, dit-il ; c’est bien. Le roi de France est maître de faire ce qu’il veut dans son royaume ; mais tant pis pour lui s’il lui en arrive malheur. Prévenez-le qu’on ne le secondera pas, et que l’Europe ne se compromettra pas pour lui. »

L’ambassadeur russe ne connut les ordonnances de juillet que le 23 au soir, et seulement par un bruit de salon ; le ministère ne l’avait averti ni officiellement ni confidentiellement. Lorsqu’elles parurent le 26 dans le Moniteur, et qu’il vit l’incurie du gouvernement au milieu de son immense témérité, l’absence des forces militaires, l’oubli de toutes les précautions, il exprima sa surprise et son effroi. « Quoi ! s’écria-t-il, ils