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DIPLOMATES EUROPÉENS.

sateur de Napoléon ! Le sénat avait voté tout ce qu’on lui avait demandé d’hommes. Les préfets continuaient de fournir rigoureusement leurs contingens. Les rouages du pouvoir exécutif s’engrenaient obéissans. Mais voilà tout. C’était en vain que l’enthousiasme officiel des pamphlets, des chansons et des opéras avait tenté de réveiller l’esprit national. Ce ressort-là était devenu inerte. Trop d’intérêts froissés, trop de misères, trop de lassitude générale l’avaient détendu. Il avait fallu dissoudre le corps législatif qui avait protesté. Les membres de la régence étaient incertains, timides ; quelques-uns, comme M. de Talleyrand, tout prêts à trahir une cause chancelante.

Toutes les circonstances favorisaient donc l’invasion ; mais les alliés étaient-ils bien d’accord sur l’opportunité et sur le but de cette invasion ? Avaient-ils tous un intérêt identique ? À présent qu’elle avait reconquis ses territoires usurpés, l’Autriche voudrait-elle renverser le gendre de son empereur ? Laisserait-elle dépouiller la France au profit de la Prusse et affaiblir outre mesure une puissance si nécessaire à l’équilibre européen ? L’Angleterre elle-même, tout acharnée qu’elle fut contre Napoléon, ne voyait-elle pas avec jalousie le rapide accroissement de l’influence russe ? Au parlement, chaque jour, les ministres anglais étaient vivement interpellés sur l’objet de la guerre.

Les conférences de Francfort avaient fait sentir ces difficultés. Les plus graves pouvant surgir à Londres, le général Pozzo di Borgo y fut envoyé ; il y arriva au commencement du mois de janvier 1814. Sa mission était délicate. Il s’agissait de convaincre le régent et les communes de la modération du czar, et d’obtenir que lord Castlereagh, le chef du cabinet anglais, se rendît au quartier-général pour se concerter lui-même avec la coalition.

M. Pozzo di Borgo fut reçu, cette fois, à Londres, non plus en fugitif que l’on protège, en homme capable que l’on daigne consulter, mais en ambassadeur véritable, qui traite de puissance à puissance. Dans un de ses premiers entretiens avec lord Castlereagh, celui-ci lui avait communiqué la pensée qu’il avait déjà d’une restauration de la dynastie des Bourbons. — Vous savez, milord, lui répondit le général, qu’il ne faut jamais présenter aux souverains qu’une idée simple ; ils ne saisissent point les choses complexes ; songeons d’abord à renverser Buonaparte. Nous ferons comprendre cela facilement au roi de Prusse et à l’empereur Alexandre. Quand nous aurons table rase, nous verrons ce que nous y pourrons mettre. —

Il visita néanmoins les princes français ; mais lorsque le comte d’Artois lui parla du projet de se rendre au quartier-général des alliés : — Gardez-