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DIPLOMATES EUROPÉENS.

aussi habile à conduire un gouvernement qu’à garder les chèvres des montagnes, et à débusquer l’ennemi à coups de carabine. »

Au conseil d’état avaient été attribuées les principales fonctions actives. Pozzo di Borgo eut à organiser toute l’administration du pays. Il en construisit lui-même la machine avec une grande habileté. C’était un code singulier, à la fois anglais et corse, mélange bizarre de lois étrangères et de lois nationales primitives, appliquées aux plus menus intérêts des populations de pasteurs. Cette curiosité historique est peu connue parmi nous ; elle ne serait comprise d’ailleurs que de ceux qui auraient visité la Corse et étudié long-temps ses mœurs.

Le gouvernement anglo-montagnard ne dura que deux ans. L’appui lointain de l’Angleterre lui fut insuffisant. Ce n’était pas assez de quelques régimens tirés de Gibraltar pour contenir la population des villes dévouées à la France, alors puissante et victorieuse, qui, par sa proximité, menaçait incessamment le frêle pouvoir de Paoli. Une crise était imminente. Les trois couleurs allaient être arborées à Ajaccio. Pozzo di Borgo n’attendit pas le jour où il les verrait flotter. Il s’embarqua avec les Anglais. Leur escadre quitta les parages de la Corse, emmenant avec elle tous les débris du gouvernement déchu. Elle toucha à l’île d’Elbe, vogua vers Naples, et de là vers l’île d’Elbe encore. M. Pozzo di Borgo eut le loisir d’examiner cette petite souveraineté de Porto-Ferraïo, où Napoléon devait être emprisonné, long-temps après, à la suggestion de son compatriote. Ce fut la frégate la Minerve qui transporta enfin à Londres le Corse aventureux. Il passa dix-huit mois en cette ville, assez bien traité par le ministère anglais, qui lui savait gré de l’esprit d’ordre et de la capacité dont il avait fait preuve durant son administration. Il se lia avec quelques émigrés français, et entra dès-lors dans cette carrière de diplomatie et de négociations secrètes, qui plus tard s’ouvrit pour lui bien autrement spacieuse. En 1798, il se trouvait à Vienne. La France subissait en ce moment de périlleuses épreuves : le sceptre de la Convention était brisé ; la terreur ne contraignait plus le pays au patriotisme ; il se faisait une sorte de réaction royaliste ; il était de bon ton de se parer des couleurs blanches. Ce n’est pas qu’on souhaitât une restauration, mais le pays boudait la révolution ; il s’était pris de dépit contre elle ; il lui en voulait de n’avoir pas encore produit de gouvernement régulier. L’ingrat ! comme si elle pouvait lui tout donner à la fois ! Ces mécontentemens avaient transpiré au dehors. L’Europe voyait Bonaparte s’engloutir sous les sables de l’Égypte avec la meilleure partie de cette brave armée qui avait dompté l’Italie et le Rhin. Toutes nos conquêtes nous échappaient. À peine gardions-nous sur les Alpes quelques positions vivement