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profonde que se vouèrent dès-lors Pozzo di Borgo et Bonaparte ; de là cette inimitié qui, enfouie en leurs poitrines corses, prit plus tard l’Europe pour théâtre de ses guerres, et dont l’action influa plus qu’on ne pense sur les évènemens de 1814.

Paoli et Pozzo di Borgo se trouvaient à Corte, la capitale de la montagne, lorsque le décret de la Convention leur fut notifié. Ils savaient les suites d’une désobéissance à une pareille souveraine. — Que feraient-ils ? — Avant qu’ils se fussent décidés eux-mêmes, peut-être le mouvement national les avait entraînés. La commission départementale s’était déclarée en permanence. Il y eut une assemblée populaire à Corte. Les troupes tumultueuses de montagnards qui la formaient décidèrent d’une voix unanime que Paoli et Pozzo di Borgo seraient invités à continuer leur administration, sans tenir compte des ordres de la France. Quant aux familles Arena et Bonaparte, il fut dit qu’il n’était pas de la dignité du peuple corse de s’occuper d’elles, et qu’on les abandonnait à leurs remords et à l’infamie publique[1] : c’étaient là les propres termes de la résolution.

Après avoir arboré un si audacieux drapeau de liberté, il ne s’agissait plus de reculer ; mais comment maintiendrait-on cette indépendance improvisée ? On entretenait bien quelques intelligences avec les Anglais ; mais Toulon, qu’ils occupaient, était vivement pressé par l’armée de la république dont on bravait la loi. C’était ce Bonaparte qu’on vouait à l’infamie qui dirigeait ce siége important, dont il garantissait le succès. Une fois le port en ses mains, en quelques heures une escadre française pouvait vomir ses légions contre Paoli et les siens.

En ces difficiles circonstances, la flotte anglaise parut devant Ajaccio. L’amiral offrit sa protection sous la suzeraineté du roi de la Grande-Bretagne. Paoli se rendit à son bord pour traiter au nom du peuple corse. En même temps une assemblée générale du peuple fut convoquée. Le 10 juin 1791, elle se réunit, et les bases d’une constitution lui furent soumises Cette constitution était fondée sur les principes de la grande charte d’Angleterre. Elle établissait deux chambres qui formaient un parlement, un conseil d’état, un vice-roi ayant des ministres responsables. Paoli proposa Pozzo di Borgo pour la présidence de ce conseil d’état. Mais lorsque ce Corse au teint basané, à l’œil vif, à la taille élancée, à l’air de partisan, lui fut présenté par Paoli, Elliot demanda à ce dernier si c’était là son président de conseil d’état. « Je réponds de lui, dit Paoli. C’est un homme

  1. Che non era dilla dignità del popolo Corso di occuparse delle due famiglie Bonaparte et Arena, onde le abbandona ai loro e alla publica infamia. — Ce décret fut couvert de douze cents signatures.