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Lorsque j’ai secoué la poussière qui couvrait ces deux minces volumes, j’ai cru d’abord qu’après Malherbe j’allais avoir à exposer l’histoire de son école ; j’avais lu partout qu’elle se personnifiait dans Racan. Mais c’était autre chose encore : les vrais disciples de Malherbe, ce sont Maynard, Bertaut, l’évêque de Grasse ; Racan regarde bien aussi Malherbe, mais il est à demi tourné vers La Fontaine.

Ce n’est pas qu’il n’ait gardé quelque chose de cette haute et rigide expression de son maître, de cet essor d’ame qui élève plus souvent la pensée que l’imagination. Mais essayez de le surprendre à l’une de ces heures où, moins préoccupé du joug, il suit avec nonchalance la pente naturelle de son génie, et vous serez étonné de lui trouver une allure qui ressemble si fort à celle du fabuliste. C’est souvent dans sa manière le même laisser-aller de rhythme et de langage, c’est dans ses opinions le même épicuréisme indolent et sensuel, c’est dans l’instinct de ses goûts le même amour des champs et de la solitude, c’est jusque dans sa vie privée la même bonhomie : Racan, par la naïveté de ses distractions, appartient aussi à la famille de ces rêveurs que Dieu n’a pas le courage de damner.

Ce poète nous apparaît donc comme l’anneau qui lie dans l’histoire de notre poésie ces deux hommes de races si diverses, Malherbe et La Fontaine. C’est comme présentant ce singulier caractère qu’il nous semble curieux à étudier. Nous essaierons de retrouver dans sa vie, d’une part l’écho affaibli de l’inspiration grave de Malherbe, de l’autre ces épanchemens naïfs d’une verve heureuse et facile qui n’attend plus que La Fontaine pour devenir du génie.

Si Racan eût été un poète créateur, il eût fait l’une de ces deux choses : ou il serait entré hardiment dans la route frayée par Malherbe, et moins gêné désormais par la forme, il serait devenu un franc lyrique ; ou, plus docile au penchant mélancolique de sa nature, il eût rouvert sous le règne de Louis xiii ces sources murmurantes de poésie champêtre que Théocrite retrouva, comme par enchantement, au sein d’une époque Alexandrine. Mais Racan n’était pas un homme de génie. Disciple de Malherbe, quand il imite et quand il invente, sa gloire est d’avoir répandu çà et là sur