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Et le groupe s’étant dissipé, Haran-Sauret ferma sa porte fort mécontent des éclats de rire qu’il entendit encore résonner au loin, puis il s’assit sur un escabeau dans le réduit qui précédait la chambre à coucher de maître Cornille Bart.

Jacques Seyrac, natif de Bayonne et dit Haran-Sauret depuis sa migration dans le Nord, tirait ce surnom de son ancien état de pêcheur de harengs, qu’il avait d’abord exercé à Dunkerque, mais qu’il avait abandonné pour s’attacher au sort de Cornille Bart, et le suivre dans ses courses contre les Anglais et les Hollandais. Haran-Sauret, par abréviation Sauret, était un brave et honnête marin, quelque peu clerc ; car, chose assez extraordinaire pour le temps, il savait lire fort couramment. Or, cette faculté, jointe à son imagination toute méridionale, en le mettant à même de s’imprégner, pour ainsi dire, des récits mensongers des navigateurs de l’époque, lui avait donné l’envie de les imiter, ce qu’il faisait effrontément lorsqu’il venait à raconter ses voyages océaniques et périlleux et surtout véridiques, ainsi qu’on l’a vu ; d’ailleurs probe, intrépide, et en tout dévoué à son capitaine Cornille Bart.

En s’asseyant sur son escabeau, Sauret reprit l’intéressante occupation qu’il avait interrompue pour aller donner des nouvelles de son maître : il s’agissait du parachèvement d’une petite galère en miniature qui pouvait vraiment passer pour un chef-d’œuvre, car, depuis l’espalier jusqu’aux bandinets et à la rambade[1], tout était imité et exécuté avec une exactitude scrupuleuse. Aussi le vieux marinier s’arrêtait-il de temps en temps pour sourire complaisamment à son ouvrage, quoiqu’une seule chose l’affligeât beaucoup. — Les carosses ou tentes situées à l’arrière des galères étaient ordinairement enrichies des étoffes les plus somptueuses, tandis que le pauvre Sauret n’avait, pour couvrir le carrosse de la sienne, qu’un vieux morceau de revesche rouge tout passé. Aussi en était-il à envier de toutes ses forces un petit coin de la bannière

  1. L’espalier à bord des galères de premier rang était un espace carré compris entre le logement du capitaine et les bancs des rameurs ; de chaque côté de l’espalier étaient des balustrades nommées bandins et bandinets.

    La rambade était une plate-forme élevée de quelques pieds au-dessus du pont servant de gaillard d’avant aux matelots qui faisaient la manœuvre.