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CHANTS DE L’ITALIE.

mençaient l’hymne si simple, si admirable, si sublime des pêcheurs siciliens en l’honneur de la Vierge : O sanctissima, ô piissima dulcis Virgo, etc. Si, d’un côté, la combinaison harmonique et le nombre des voix paraissaient devoir enlever les suffrages, de l’autre la palme était vivement disputée par la simplicité et la naïveté des tons, par une expression toute naturelle d’un véritable et pieux amour. Mais bientôt l’hymne de la Vierge était repris à quatre parties et en chœur par les Allemands eux-mêmes ; et quel triomphe alors pour l’art venant prêter son secours à la nature ! C’était tout ce qu’il est possible de rêver de plus beau et de plus parfait. Heureux, me disais-je, mille fois heureux l’artiste qui trouve ainsi ses inspirations dans les émotions même de son âme, et qui sait les exprimer avec tant d’art que, pour celui qui en écoute l’expression, l’art disparaît, et la nature seule semble avoir prêté son langage. Telle est l’origine de toute musique qui se grave dans le souvenir du peuple, en même temps qu’elle obtient l’admiration des connaisseurs et des vrais artistes.

Ainsi les chants du peuple, qui n’osaient entrer en lice avec ceux des étrangers, trouvaient dans les étrangers eux-mêmes des défenseurs. Après ces luttes si originales, on se séparait en s’applaudissant avec franchise et cordialité. Long-temps après minuit retentissaient encore les chants des Allemands dans les rues qui conduisent au mont Pingio, quartier voisin de la villa de Medicis, presque entièrement habité par les artistes étrangers.

Je fus acteur d’une scène pareille et non moins intéressante dans l’île de Caprée. C’était le soir ; nous étions assis sur le toit voûté de l’auberge de Don Giuseppe, admirant d’un côté, sur le sommet d’une montagne, les ruines du bourg de Barberousse, de l’autre celles du bourg de Tibère, séparés de l’Europe par le golfe, et de l’Afrique par la Méditerranée. Malgré toutes ces richesses étalées autour de nous par la nature, moins heureux et moins beau sans doute, mais aimé avec passion, notre pays natal apparaissait à notre pensée au milieu d’une foule de touchans souvenirs ; et comme les Hébreux captifs à Babylone, mêlant leurs pleurs à l’onde du fleuve, à l’ombre des saules où ils avaient suspendu leurs harpes, nous chantions dans la langue maternelle les chants de la patrie ; mais à peine nos voix et nos guitares avaient-elles cessé,