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LE POÈME DE MYRZA.

aux lieux où vous êtes. À la seule idée qu’un de mes frères pourrait vous apercevoir, je frissonne comme si l’heure de ma mort était venue. L’autre jour, j’ai vu près d’ici la trace d’un pied humain sur le sable, et j’aurais voulu être un rocher pour attendre au bord du sentier l’audacieux qui pouvait revenir, et l’écraser à son passage. Mais, hélas ! ajoutait-il, les autres hommes sont immortels, et seul je puis craindre la chute d’un rocher. Si je tombais dans un précipice, vous descendriez dans la vallée pour être nourrie et protégée par un autre homme, et vous m’auriez bientôt oublié, car il n’est pas un de ces immortels qui ne fit le sacrifice de son immortalité pour vous posséder. C’est pourquoi, malgré mon amour pour vous, je ne puis m’empêcher de désirer que la mort vous atteigne aussitôt que moi. »

Et la femme lui répondait : « Si tu tombais dans un ravin, je m’y jetterais après toi ; et si Dieu me refusait la mort, je mutilerais mon corps et je détruirais ma beauté pour ne pas plaire à un autre.

Lorsque la femme mit au monde son premier né, il lui sembla que sa mort était proche, car elle sentait de grandes douleurs ; et comme son époux criait avec angoisses vers le Seigneur, elle lui dit : Ne pleurez point et réjouissez-vous, car mon corps se brise, et mon ame est heureuse de ce qui m’arrive ; je sens que je ne suis pas immortelle, et que je ne resterai pas sans vous sur la terre.

L’époux de la femme fut rencontré dans les montagnes par quelques-uns de ses frères, et ceux-ci virent qu’il était pâle et maigri, et qu’une singulière inquiétude était répandue sur sa figure ; ils racontèrent ce qu’ils avaient vu, et comme jusque-là les fatigues et l’ennui n’avaient point été assez rudes à l’esprit de l’homme, pour que son corps indestructible pût en recevoir une telle altération, chacun s’étonna de ce qu’il entendait de la bouche de ces témoins, comme s’ils eussent annoncé l’apparition d’une nouvelle race dans le monde, ou une perturbation dans l’ordre de la nature.

Plusieurs, entraînés par la curiosité, s’enfoncèrent dans les montagnes, pour chercher leur frère ; mais il avait si bien caché sa demeure derrière les lianes des forêts et les pics des rochers, qu’il se passa plusieurs années avant qu’on la découvrît. Enfin il