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dons à Dieu qu’il nous ôte la réflexion, et nous laisse seulement l’intelligence nécessaire pour commander aux animaux.

Mais cet avis fut combattu par quelques-uns, qui considéraient la richesse de leur intelligence comme ce qu’ils avaient de plus précieux au monde.

Il y en eut alors d’autres qui s’avisèrent d’un désir plus noble, et dirent : Nous avons comparé le sommeil paisible des bêtes aux aspirations de nos veilles brûlantes, et nous avons découvert les causes de nos ennuis ; dépêchons les oiseaux en messagers aux hommes de tous les pays. Et quand la foule, accourue de toutes parts, se fut réunie autour de ces sages, debout sous le portique des temples, ils parlèrent ainsi :

— Le malheur de l’homme ne vient pas d’une cause accidentelle ; cette cause est son organisation défectueuse et le triste destin qu’il accomplit dans l’univers. C’est un être borné dans ses jouissances, quoique infini dans ses désirs. Il souffre, et ne sait comment se guérir : cela est injuste, car les animaux connaissent la plante qui doit leur rendre l’appétit lorsqu’ils l’ont perdu, et l’ame de l’homme ne peut embrasser le but de ses vagues désirs. Mais ce n’est pas le seul avantage que les bêtes aient sur nous. Elles sont divisées en sexes différens ; c’est pourquoi elles se cherchent, se rapprochent et s’unissent dans une extase qui les élève au-dessus d’elles-mêmes, et qui nous est inconnue. Le charme qui les attire est si puissant, qu’il n’est aucune caresse, aucune menace de l’homme, aucun attrait de la gourmandise, aucune injonction de la faim qui les empêche de courir au fond des bois et des vallées à la suite les unes des autres. Le tigre ou le lion enfermé loin de sa compagne se couche en rugissant, et semble renoncer à la vie, car il refuse toute nourriture. Le cheval séparé de la cavale, le taureau de la génisse, au temps de leurs amours, deviennent indociles, et brisent les chariots. Tous devinent l’approche de leur compagne : le loup sent venir la louve du fond des forêts ténébreuses ; le chien hurle et tressaille à l’arrivée de la lice sans la voir ni l’entendre ; l’oiseau sait se frayer une route au travers des plaines immenses de l’air pour aller rejoindre sa compagne, il n’a vu qu’un point noir vers l’horizon, et pourtant il ne se trompe pas ; l’ibis ne court point après la grue, ni le chardonneret après la mésange. Qui donc leur