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de peur qu’elle ne se mît en garde contre le châtiment, et souvent aussi pour épargner à l’impuissance de l’autorité impériale la nécessité de sévir. Les Mameluks, de leur côté, avaient conservé l’usage de se faire représenter auprès du gouverneur par un cheik-el-beled, ou chef des villages, chargé, dans le principe, de leur communiquer les volontés de son altesse ; mais quand leur parti dominait, ce commissaire changeait de rôle, dictait des ordres au lieu d’en recevoir, d’otage se faisait maître et geôlier, et s’emparait du pouvoir, dont le vice-roi ne gardait plus que le vain titre. L’Égypte avait alors ses maires du palais.

D’après les erremens de cette politique timorée dont nous venons de tracer l’esquisse, un autre pacha fut choisi par Sélim pour remplacer et venger Mohammed-Kousrouf. Ali-Gézaïrly (c’était son nom), malgré les assurances pacifiques sous lesquelles il cachait ses véritables instructions, ne devait point trouver, de la part de la nouvelle ligue, des dispositions plus soumises. Prévoyant le parti qu’il pourrait en tirer un jour, Mohammed-Ali fomentait sous main l’anarchie ; bientôt même il leva le masque et seconda ouvertement, à la tête des troupes albanaises, l’insurrection des beys, qui ne tardèrent pas à faire tomber Gézaïrly sous leurs coups. Mohammed-Ali s’était contenté d’emprisonner Kousrouf-Pacha ; les Mamelouks tuèrent son successeur.

La dignité de premier cheik-el-beled, et la direction des affaires publiques était restée, depuis la déposition de Mohammed-Kousrouf, entre les mains d’un certain Osman-Bardissy. À peine ce bey se fut-il défait, avec l’aide de Mohammed-Ali, du dernier gouverneur nommé par la Porte, qu’un nouveau prétendant vint lui disputer le pouvoir. C’était un de ses frères d’armes, arrivant d’Angleterre, et fondant ses prétentions à la vice-royauté sur la protection spéciale du cabinet de Saint-James. Dès-lors Mohammed-Ali, qui s’était servi des Mameluks pour renverser deux vice-rois, travaille à les détruire par leurs propres armes, et se met à briser l’instrument qui désormais n’est plus pour lui qu’un obstacle. D’abord il suscite la guerre entre les deux beys rivaux, et prête à Osman-Bardissy l’appui de ses troupes ; puis, quand il a expulsé le protégé, ou plutôt le bouc émissaire du ministère anglais, il soulève le peuple contre ce même Bardissy, auquel il vient de procurer la victoire, le foudroie au milieu de son triomphe, et confond dans la même défaite le vainqueur et le vaincu. Sa vengeance avait introduit les Mameluks dans le Kaire ; son ambition les en chassa. Ces guerriers nourris dans l’intrigue et la défiance, contre lesquels la politique du divan épuisait, depuis des siècles, les ressources de son astuce et de sa force, semblaient obéir comme un jouet,