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CHATTERTON.

Joanny, dans le rôle du quaker, a montré de la grandeur. Au troisième acte surtout, il a eu de belles inspirations. Quand il s’est agenouillé aux pieds de Chatterton, en lui avouant l’amour de Kitty Bell, il y avait dans son émotion et dans ses larmes une vérité poignante et toute paternelle. C’était bien la fierté romaine rougissant d’un instant de faiblesse et prenant Dieu à témoin de la sainteté de son abaissement. Il était en pleine tragédie, pénétré profondément de la puissance de ses paroles. Il se résignait à l’aveu profane pour détourner du crime une âme ivre de douleur. Les applaudissemens qui ont accueilli la représentation de cette scène étaient bien mérités.

Mais, pour la partie paisible de son rôle, on regrettait l’onction insinuante si nécessaire aux conseils chrétiens placés dans sa bouche. On le sentait bon et dévoué ; mais la brusquerie de ses mouvemens, la rudesse presque militaire de son langage, semblaient contredire la divine bienveillance de ses pensées. La soumission filiale de Kitty Bell s’accordait mal avec l’austérité du regard qu’elle venait consulter comme sa conscience vivante.

Assurément Joanny comprend avec une sagacité rare les plus délicates intentions de son rôle ; mais, lorsqu’il s’agit de les rendre, il se trouve, je crois, dans une perplexité singulière. D’une part, le souvenir de ses habitudes tragiques enfle sa voix et donne presque à son accent la sonorité des masques antiques, et en même temps le sincère désir de mettre en relief toutes les ciselures de la pensée le porte à détailler minutieusement les sentimens et les images qui voudraient jaillir d’un seul jet. En se livrant sans réserve aux traditions de la tragédie qu’il possède à merveille, il atteindrait à coup sûr l’unité ; mais le soin qu’il met à traduire, dans le rôle du quaker, les familiarités étrangères aux études de toute sa vie, donne à son jeu et à son débit quelque chose de brisé, qu’il corrigera sans doute avec un peu d’attention, mais qu’il ne faut pas négliger de lui signaler, il est de ceux que la critique ne doit pas ménager ; la médiocrité seule est amnistiée par le silence.

Dans le rôle de Kitty Bell, Mme Dorval a été charmante. Elle a prouvé que la grâce ne lui est pas moins familière que l’entraînement de la passion. Dans les deux premiers actes, elle n’a pas oublié un seul instant l’élégance dans l’ingénuité. Il y a des mots