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de le mener de l’orgueil au suicide, en épuisant successivement les joies de la famille et les intrigues du pamphlétaire. Dire comment ils auraient fouillé les entrailles de cette donnée, comment ils nous auraient déroulé le spectacle mystérieux de cette superbe conscience, est au-dessus de ma clairvoyance. Mais, à coup sûr, lord Beckford et Horace Walpole n’auraient servi qu’à montrer comment l’orgueil mal entendu conduit la pauvreté à l’avilissement ; et le suicide aurait marqué le réveil de la fierté vraie. Dans une pièce ainsi conçue, miss Rumley aurait figuré le bonheur promis à la résignation. Aimer, s’entourer de pieuses espérances, continuer laborieusement le pélerinage humain, défier la fortune dans l’accomplissement courageux du devoir, ou bien foulant aux pieds les principes sacrés de la morale, et jusqu’au respect de soi-même, jouer son nom et sa pensée sur la promesse d’un titre et d’une pension, telle aurait été la question posée, débattue entre le cœur et la tête, et résolue par le suicide.

Que si l’on me demande où est l’action d’un pareil drame, je répondrai : L’action, pour intéresser les hommes de réflexion et les hommes d’entraînement, n’a pas besoin d’un spectacle varié. Les combats de la conscience suffisent à émouvoir la multitude aussi bien que les chroniques dialoguées. Et sans doute une âme de dix-huit ans, placée entre l’amour et l’ambition, n’est pas un sujet indifférent.

Aller de la famille dédaignée à l’antichambre du lord-maire, passer de la protection populaire, mais infructueuse, du premier magistrat de la ville aux salons du ministre envié, se résoudre à la satire pour insulter aux échelons brisés d’une fortune qui se dérobe, et, quand la vengeance elle-même se raille des efforts désespérés, en appeler à Dieu de la résistance du monde, invoquer le suicide comme un dernier asile, voilà, je crois, un thème dramatique, thème difficile, j’en conviens, capable d’effrayer l’imagination la plus confiante ; mais ce thème est, à mon avis, le seul qui s’offre à la pensée dans la biographie de Chatterton. Le rôle de la passion appartiendrait tout entier à miss Rumley.

M. de Vigny a vu sous une autre face le favori de lord Beckford. Il a usé de son droit, et si je le juge sévèrement, ce n’est pas pour sa résolution, mais bien pour la manière dont il l’a réalisée. J’incline