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LES CIMETIÈRES DE MADRID.

tarder à le suivre ; — puis viendrait la sainte jeune fille de Grenade ; — puis Torrijos, Flores Calderon et leurs compagnons, — les trente-sept martyrs de Malaga !

Lui pourtant, ô mon Dieu ! fils ignoré du peuple ! lui, ouvrier obscur, dont la mort seule avait révélé l’existence, vivrait-il au moins dans la mémoire du pays ? Au jour des expiations, la patrie se souviendrait-elle de lui ?

Antonio Latorre ! — Pour sauver ton souvenir de l’oubli, j’aurais voulu t’élever alors de mes mains un mausolée de marbre blanc, et y écrire en lettres d’or ton nom, — ton seul nom ! — J’aurais voulu encore que l’on m’apportât toutes les palmes bénites de ce dimanche des Rameaux où avait commencé ton agonie, et pour le cacher à tes bourreaux et à tes juges, j’en aurais couvert à poignées ce tombeau que je t’aurais bâti ! Peut-être la Liberté, voilée de deuil, serait venue les écarter quelquefois les yeux en pleurs !


À ma droite, à la portée de mon bras, se trouvait un frêle églantier, tout bourgeonnant déjà, mais qui n’avait encore que trois petites feuilles à peine ouvertes. — Je les cueillis, et, sans que le gardien m’eût remarqué, je les laissai tomber à mes pieds, avec une larme, sur la terre qui recouvrait le corps d’Antonio Latorre.

Comme je sortais du Campo-Santo, je m’arrêtai un instant à sa porte. De là je promenai ma vue sur l’horizon qui se déroulait autour de moi ! — Que cette journée, des premières du printemps, était belle ! Que le ciel était d’un bleu pur et profond ! Comme les aigles noirs volaient haut, fendant l’air de leur grande aile indépendante ! Comme le Guadarrama s’étendait majestueux à ma gauche, sous son éblouissant manteau de neige ! Comme Madrid brillait chaudement au soleil, avec ses églises de brique rouge et ses maisons peintes !

— Oh ! me disais-je, ce serait bien à ce soleil et sous ce ciel qu’il faudrait crier de toutes les forces de son âme : Vive la liberté ! Je me retournai, et jetai un dernier regard vers la nouvelle fosse politique.

— Mais, pensai-je en m’éloignant, voilà pour ceux qui diront cette parole ! — Aquella palabra !