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REVUE DES DEUX MONDES.

RENAUD.

Empereur, encore une fois, je vous en supplie, recevez-moi en grâce, ainsi que mes frères, et je vous promets pour jamais foi et obéissance.

CHARLEMAGNE.

Renaud, vous vous êtes étrangement trompé, si vous avez cru que je serais plus facile à vos prières, parce que je suis en votre pouvoir. Jamais vous n’aurez de paix de moi.

— Eh bien ! Charlemagne, puisque tu ne veux pas de paix avec nous, tu es libre, dit Renaud, et il baisse le pont-levis de Montauban pour faire sortir le roi sain et sauf. Celui-ci continue le siége et affame le château. Bientôt les quatre fils d’Aymon sont réduits à la dernière extrémité. Leur père, qui est dans l’armée des assiégeans, les prend en pitié, et il se sert des machines de guerre pour leur lancer des vivres, au lieu de pierres et de traits. — Charlemagne le découvre, et en fait d’amers reproches au duc Aymon ; la réponse de celui-ci est admirable. — « Empereur Charlemagne, je ne m’excuserai pas : il est naturel à l’eau de mouiller, à l’air de refroidir, au feu de réchauffer ; il est aussi naturel au père d’aimer ses enfans. Le cri du sang ne peut se taire, ô roi ! Je vous le déclare donc devant ces princes, quand vous sépareriez ma peau de mes chairs vivantes, jamais désormais je ne ferai aucun tort à mes fils. — Allez, duc Aymon, répond Charlemagne, allez retrouver votre femme, et dites-lui que vous n’avez plus d’héritiers, car d’ici à peu de jours, vos quatre fils auront vécu. »


Cependant ceux-ci font mentir la prédiction de Charlemagne, car ils se sauvent, sur Bayard, du château de Montauban, et se réfugient à Dordonne, dans la maison de leur père. Là, ils sont de nouveau assiégés par l’empereur, qui finit par être abandonné de tous ses seigneurs, et forcé à recevoir les quatre fils d’Aymon à merci. Renaud s’engage à faire un pélerinage en Palestine pour expier ses fautes envers le roi, et il part vêtu en pélerin.

Là finissait la tragédie bretonne ; elle n’avait pas suivi la légende plus loin.

Après de longs applaudissemens, la foule se retira. Je voulus attendre qu’on pût sortir à l’aise, et je restai assis et pensif.

La nuit commençait à tomber. Le soleil, qui descendait à l’horizon, ne laissait plus voir que les derniers plis de sa pourpre nuageuse, et la lune montrait son pâle croissant perdu dans l’océan du ciel, comme une nacelle enflammée. Le champ qui avait servi de théâtre était vide. J’entre-