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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

Et maintenant que nous sommes prêts à mourir, attendons avec courage notre ennemi. Qu’on ne dise pas que les ames des quatre fils d’Aymon étaient logées dans des peaux de lâches.

Ici la mêlée commence, les défis et les coups se cherchent, se croisent, se répondent, mais les quatre fils d’Aymon sont séparés par le choc des assaillans, et Richard, frappé d’un coup terrible par Gannelon, tombe expirant : — Un de moins, crie Gannelon, puisque Richard, le plus brave d’entre eux est mort, nous aurons bientôt les autres. — « Ne te réjouis pas tant, Gannelon, dit Richard en se relevant, ma mort t’aura coûté cher. Puisque je meurs, il faut que tu meures aussi ; sang pour sang, vie pour vie ; » et il lui plonge son épée dans le cœur, puis retombant à genoux, il se penche en souriant sur le cadavre de son ennemi, et dit : — « Te voilà soldé, traître, si je suis presque mort, toi, tu es mort tout-à-fait ! »

La chronique française ne contient rien de pareil. « Richard, dit-elle, se leva, tenant son ventre d’une main, l’épée de l’autre, et en lâcha un coup si rude sur son ennemi, qu’il le fendit comme un cochon, et se recoucha, car il perdait beaucoup de sang. »

Malgré le beau coup d’épée de ce Richard, nous préférons celui du drame breton ; ici, Richard, au lieu de se coucher, regarde son ennemi et rit de le voir mort avant lui.

Cependant Renaud, lancé dans la mêlée, n’a rien vu de ce qui s’est passé ; mais tout à coup, n’apercevant plus son jeune frère, il s’arrête et s’écrie : — Où est Richard, mes frères, où est Richard ? Si nous l’avons perdu, malheur à nous ! c’était le plus vaillant de nous tous ; s’il est pris, il faut que nous mourions.

GUICHARD.

Hélas ! je le vois là-bas, étendu sur la terre ; je crains qu’il n’ait succombé ; il est baigné dans son sang.

RENAUD, courant à Richard.

Fortune horrible ! Oh ! quel malheur ! — Mon frère ! mon frère, oh ! ils vous ont blessé mortellement.

RICHARD, retenant avec ses deux mains ses entrailles.

Vous le voyez, Renaud, je ne pourrais vivre quand même mon ame serait de fer. Mes entrailles sont dans mes mains. Mais celui qui m’a mis dans cet état a reçu sa récompense. C’est le superbe Gannelon qui m’a frappé à mort ; (souriant) regarde, frère, il est là sous mes talons.

RENAUD.

Ah ! noble chevalier, le délire me vient en vous voyant ainsi égorgé. Ô mon frère, mon bien-aimé frère ! si je pouvais souffrir à ta place, que je le ferais avec joie ! Abandonne-toi, mon frère, à mes bras, que je te porte