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troupe, et, d’une voix de stentor, leur donna un nouveau signal de crier : À bas le gouverneur !

Après quelques minutes d’attente, la longue personne de don Geronimo parut sur le balcon. — À sa vue, les cris redoublèrent ; il fit signe de la main qu’il voulait parler, et obtint un instant de silence :

— Que demande, dit-il, le peuple héroïque (el pueblo heroico) de la Bajada ?

— Viva la patria ! crièrent tous les conjurés à la fois.

— Viva la patria ! soit ; est-ce tout ce que vous voulez ?

— Non, non, à bas le gouverneur ! nous voulons un autre gouverneur !

— Mais, peuple héroïque, vous n’êtes que quinze, et que dira l’Europe, si…

— À bas l’Europe ! au diable les étrangers ! mort aux hérétiques ! — Et le vacarme devint effroyable. Don Geronimo commençait à devenir blême autant que la couleur de sa peau le permettait ; il tenait bon cependant, et semblait attendre que les poumons des conjurés eussent besoin de repos.

Les cris commençaient à s’affaiblir, lorsqu’un petit mulâtre, prenant plaisir à la chose, s’avança entre les conjurés et le cabildo, et, ramassant une pierre, la lança à tour de bras au malheureux gouverneur ; mais elle n’atteignit pas le balcon et fut mourir contre la muraille.

En voyant partir le projectile, don Geronimo avait fait un plongeon dans l’intérieur du cabildo, et ne reparaissait pas. Enfin, après quelques instans, on vit poindre sa tête, puis son corps, et il reprit son poste sur le balcon. Il était tout effaré.

— Cessez d’attenter à mes jours, cria-t-il d’une voix altérée, je me rends aux vœux du peuple. Si vous avez un chef, qu’il se présente : j’ai à lui parler.

Aguirre s’avança fièrement sous le balcon.

— Voici encore une des vôtres, seigneur Aguirre ! lui dit le gouverneur : mais parlons raison. Que vous ai-je fait ? et pourquoi voulez-vous en mettre un autre à ma place ? voyons.

À défaut de raisons, Aguirre ne manquait jamais de grands mots.