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de toucher les affaires sans avoir la force de les tenir et de les diriger ; M. Molé, homme d’esprit et de formes, n’a pas eu le sentiment de sa propre position ; les roueries de M. Thiers l’ont perdu, parce qu’il s’est abandonné avec une ingénuité qui lui faisait comparer sa position, au milieu des intrigues, à celle de la Clarisse chez la Saint-Clair. La probité dans les affaires est sans doute une belle chose ; mais il y a d’autres qualités à exiger d’un homme d’état, et quand ces qualités ne se rencontrent pas, on est perdu à tout jamais pour la politique.

Définitivement, on bâtit la salle de séances pour la cour des pairs ; on commence les travaux pour établir ce bâtiment de bois, qui doit contenir cent vingt pairs, plus de cent cinquante accusés, trois cents témoins et deux cents gardes municipaux, puis quelques tribunes étroites pour le public. Le jardin du Luxembourg va être mutilé, comme si tout devait garder empreinte de cette triste procédure. Tous ces vieux pairs, tous ces débris, tous ces courtisans de la fortune nouvelle, ont retrouvé quelque chose de leur verdeur et de leur jeunesse pour se montrer implacables envers les accusés ; on se passionne dans ce procès comme s’il s’agissait de présenter un bouquet au château. Quel contraste ! on danse aux Tuileries, des illuminations brillantes fatiguent les yeux, et au palais du Luxembourg on aura le spectacle d’un procès criminel dont les annales judiciaires n’offrent pas d’exemple. Les destinées s’accomplissent ! mais avant le jugement que d’apostrophes seront jetées sur ces faces blêmes et flétries qui ont traversé tant de régimes et veulent affronter de jeunes hommes, égarés peut-être, mais tous hommes de conviction et de dévouement à une cause ! Tout ne sera pas facile dans ce procès ; les hommes de juillet vont paraître devant la pairie de la restauration, et plus d’un souvenir sanglant sera jeté dans l’arène judiciaire.


F. BULOZ.