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LETTRE POLITIQUE.

faire une idée de l’irritation profonde qu’il en conçut. Il venait de fouler aux pieds ses ennemis ; la Prusse était agenouillée, il datait ses décrets de Berlin, et dans cet affaissement de tous, une puissance levait la tête plus haut que lui-même, résistait quand tout implorait sa clémence ou sa générosité. Napoléon était alors entouré d’une cour flatteuse, de ces hommes qui l’enivraient d’encens et l’entraînaient dans d’inconcevables mesures. Le duc de Bassano doit se rappeler s’il s’opposa alors un seul moment au fameux décret de Berlin, décret violent et ridicule tout à la fois, mais que les belligérans pouvaient se permettre, parce que la guerre autorise tout ce qui peut avancer le triomphe d’une cause.

On aperçoit dans les considérans de ce décret tous les principes de l’école impériale ; Napoléon le dicta avec cette promptitude d’expressions que M. Maret seul savait si bien saisir ; quelques lignes furent même écrites de la main de l’empereur en ces caractères hiéroglyphiques, cette sténographie de la pensée qu’il fallait deviner et traduire. Les considérans sont de la fureur contre l’ennemi qu’on ne peut vaincre ; les voici : « Napoléon, empereur, considérant que l’Angleterre n’admet point le droit des gens suivi universellement par tous les peuples policés ; qu’elle déclare bloquées les places devant lesquelles elle n’a pas même un seul bâtiment de guerre ; que cet abus monstrueux du droit de blocus n’a d’autre but que d’empêcher les communications entre les peuples ; que cette conduite de l’Angleterre, digne en tout des premiers âges de la barbarie, a profité à cette puissance au détriment de toutes les autres ; qu’il est de droit naturel de combattre l’ennemi de la même manière qu’il combat lorsqu’il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentimens libéraux, résultat de la civilisation parmi les hommes ; nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Les Îles britanniques sont déclarées en état de blocus. Tout commerce et toute correspondance avec les Îles britanniques sont interdits. Tout individu, sujet de l’Angleterre, de quelque état ou condition qu’il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par nos troupes ou par celles de nos alliés, sera fait prisonnier de guerre. Le commerce des marchandises anglaises est défendu, et toute marchandise appartenant à l’Angleterre, ou provenant de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise. Tout bâtiment qui contreviendra à ces dispositions sera saisi, et le navire et la cargaison consignés comme s’ils étaient propriété anglaise. Communication du présent décret sera donnée à tous nos alliés, dont les sujets sont victimes, comme les nôtres, de l’injustice et de la barbarie de la législation maritime anglaise[1]. »

  1. Moniteur du 4 décembre.