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limites posées à l’égard des neutres. Sous le vieux régime, la guerre avait quelque chose de compassé, elle était soumise à certaines formes, on pouvait, en quelque sorte, en prévoir la fin et le résultat ; mais quand la révolution française eut jeté les peuples dans la balance des gouvernemens, lorsque les alliés voulurent faire subir le joug à la France révolutionnée, et que la France déborda sur l’Europe des rois, il y eut bouleversement des idées reçues, et impossibilité réelle d’établir une règle à l’égard des neutres.

Ainsi une loi du 18 janvier 1798 déclara de bonne prise tout bâtiment neutre chargé en tout ou en partie de marchandises anglaises. C’était là une première dérogation aux maximes proclamées par la France elle-même. En même temps le Directoire déclarait qu’il serait signifié à toutes les puissances neutres ou alliées, que le pavillon de la république française en userait envers les bâtimens neutres, soit par la visite, la confiscation ou appréhension, de la même manière qu’ils souffraient que les Anglais en usassent à leur égard.

Cette dérogation du gouvernement français au principe qu’il avait posé lui-même, avait été amenée par le fameux traité du 19 mai 1794, entre les États-Unis et l’Angleterre, traité qui reconnaissait le droit de visite, de presse, d’extension de blocus, réservé à la Grande-Bretagne. Dans ce traité, le principe que le pavillon couvre la cargaison, est totalement abandonné par les Américains ; on allait même plus loin : la dénomination des objets de contrebande était laissée à la décision du gouvernement anglais ; on y admettait enfin que tout sujet de l’Amérique trouvé sur un bâtiment ennemi pouvait être traité comme un pirate[1]. C’était donc le gouvernement de l’Union même qui acceptait le droit de visite, qui renonçait aux priviléges des neutres, et cela au profit de l’Angleterre. La France dut à son tour prendre des mesures de rigueur, et un arrêté du Directoire déclara pirate, tout sujet de puissance neutre trouvé sur les vaisseaux de nations ennemies.

Cette situation exceptionnelle cessa avec le consulat. Bonaparte arrivait au pouvoir avec des idées de paix et d’ordre ; jeune consul, il était salué par les acclamations du peuple qui appelait un gouvernement fort. Des ouvertures furent faites également aux états de l’Union et à l’Angleterre ; on en revint avec les neutres aux principes établis, mais quand, à Amiens, Joseph Bonaparte et les plénipotentiaires anglais arrivèrent au grand point des priviléges de la neutralité, l’Angleterre maintint son droit, et la France le sien ; il ne fut nullement question de con-

  1. art. 17, 18, 21, recueil de Martens, tom. vi, p. 369 et suiv.