Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
REVUE DES DEUX MONDES.

pouvais concevoir comment un cabinet tout entier ne se portait point solidaire d’un échec aussi sérieux. L’unité est la première condition d’un gouvernement : chez nous, cela se passe ainsi, et vous devez sentir quelle facilité il en résulte pour les transactions diplomatiques. Quand un cabinet succède à un autre, il n’est point tenu de remplir les engagemens contractés par la précédente administration ; il peut repousser avec fermeté les reproches qu’on lui adresse, reprendre les négociations sur de nouvelles bases, se préparer surtout une majorité pour le vote de subsides qui est la conséquence du traité. On ne fit, en France, qu’une affaire personnelle de cet échec parlementaire ; M. de Broglie et M. Sébastiani se retirèrent seuls. La difficulté à l’égard des États-Unis resta la même.

Voilà pourquoi en Angleterre la presse tout entière s’est élevée contre la situation respective de la chambre et du ministère en présence du traité américain : on comprend difficilement que les mêmes ministres viennent encore s’exposer à une épreuve, alors que le premier résultat a été un échec. Quand notre gouvernement traite, et qu’il s’engage à des subsides, c’est qu’il est tellement assuré de la majorité du parlement, qu’il peut répondre d’avance de l’obtenir pour la convention qu’il signe. C’est là sa force vis-à-vis de l’étranger ; on ne voit pas alors le scandale d’une signature donnée en vain au but d’un acte diplomatique ; la parole du cabinet est sacrée, et lorsque le cabinet ne peut la tenir, il se retire et proteste ainsi de sa ferme conviction dans la justice et l’équité du traité dont il demande les moyens d’exécution.

Vous marchez bien légèrement en France ; un ministre contredit le lendemain ce qu’il a avancé la veille, appose sans réflexion sa signature au bas d’un acte, s’aventure dans des engagemens qu’il n’a pas le pouvoir de tenir. Interrogez-le sur sa majorité ; il ignore complètement s’il pourra l’avoir sur tel acte plutôt que sur tel autre ; et quand l’échec arrive, lorsque la majorité lui manque, alors il ne voit pas qu’il a compromis le pays, et il décline la responsabilité des résultats. Qu’est-ce qui a amené la situation délicate qui menace les relations politiques de la France avec les États-Unis ? N’est-ce pas l’étourderie des ministres signataires d’une convention qui ne peut être exécutée ? Et pourtant ce doit être quelque chose pour des hommes politiques qu’une parole donnée en face du monde.

Ce qui me frappa surtout, je dois le dire encore, dans les trois séances de la chambre où ces débats se prolongèrent, ce fut l’ignorance profonde des orateurs qui discutèrent à la tribune. Votre éducation parlementaire est étroite et mal faite ; vous voyez toutes les questions par le côté passionné ; jamais la pensée ne s’élève aux grands principes sociaux et aux graves questions gouvernementales. Les membres de notre parlement