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musique, avec sa douce violence, ouvre tous les sanctuaires où la mémoire était endormie. À peine la mélodie que j’ai une fois entendue se fait entendre de nouveau, je revois les anciens lieux, je retrouve le passé avec ses plaisirs et ses douleurs. Mon âme se rejette en arrière ; il ne lui faut qu’un moment pour parcourir, comme le voyageur sur une carte, tout l’espace de ses souffrances et de ses joies, tous les sentiers tortueux de la vie à travers de longues années. »

Ceux qui connaissent la profonde impuissance de la traduction ne chercheront dans les deux fragmens que je vais citer rien autre chose que le froid squelette de la poésie.

« Oh ! un asile, un asile dans quelque vaste désert ! quelque ombrage sans limites, quelque forêt sans terme ! un lieu où ne vienne me trouver aucun bruit de tyrannie et de fraude, où jamais mon oreille ne les entende plus ! Ces cris me font mal : mon ame souffre. Toujours des misères, toujours des supplices et des massacres. Il n’y a plus de sang humain dans le cœur de l’homme, plus de sympathie pour l’homme son semblable. Notre fraternité est rompue ; rompue comme le lien de paille qui tombe et se détruit à l’approche du feu. Que lui a fait cet homme qu’il maltraite ? de quoi est-il coupable ? d’être noir tandis qu’il est blanc. Mais cet homme noir sera sa proie ; il le chasse, il le traque, il le tue. La force brutale est dans la main du maître, et le maître en abuse. Un peu d’eau sépare ces deux pays, c’est une raison pour qu’ils s’abhorrent ; sans cela vous les eussiez vus se confondre comme deux gouttes d’eau dans l’Océan. Triste chose ! l’homme voue son frère au malheur, et devient son bourreau. Non, je ne voudrais pas avoir un esclave pour cultiver mon champ, pour me porter, pour rafraîchir mon sommeil pendant les nuits d’été ; un esclave qui marcherait à mon signe et qui tremblerait à mon réveil ; non, je ne voudrais pas un esclave quand on me donnerait toute l’opulence née de ses muscles achetés et vendus ; non ! Quoique la liberté me soit bien chère, et que ce soit, de tous les trésors de ce monde, celui que j’estime le plus, j’aimerais cent fois mieux être esclave moi-même et porter les chaînes dont il est chargé que de les attacher sur son corps. En Angleterre, nous n’avons pas d’esclave : en revanche, nous avons des esclaves au-delà des mers ! Pourquoi ce contraste ?