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d’un antécédent ; le commis reçut l’ordre de se présenter et d’apporter les preuves. Le jour était fixé. Cowper, qui avait étudié avec attention les journaux parlementaires, et qui était maître de son sujet, tomba dans une anxiété mortelle qui se termina par une maladie. « Les personnes, dit-il, qui sont organisées comme moi, et sur lesquelles les regards du public agissent comme un poison violent, pourront seules apprécier l’horreur de ma situation ; quant aux autres, elles ne me comprendront pas. Ma raison en fut bouleversée et ma santé détruite ; quand vint le jour de la fatale épreuve, j’étais au lit avec le délire, et tous mes amis convinrent qu’il fallait renoncer définitivement à toute espèce d’emplois publics. »

Cette intelligence malade, ces nerfs ébranlés, cette folie de terreur et de tristesse, conduisirent Cowper à la pensée du suicide. La faiblesse qu’il venait de montrer lui semblait une honte que devait effacer une mort volontaire. On parvint à le sauver plusieurs fois. Après ces tentatives désespérées, sa piété devint sombre, et la superstition joignit sa terreur à celle que les hommes lui inspiraient. Livré à une aberration mentale qui semblait incurable, il alla se réfugier à Huntingdon, dans le comté de Cambridge. M. Unwin, un des amis de sa famille, l’accueillit avec bonté. Sa vie fut plus douce, plus régulière, plus paisible, plus cachée ; il put goûter quelques-uns des plaisirs de la famille, sans en avoir les peines, les amertumes, les inquiétudes et les regrets : il se vit protégé par un rempart d’amitié et de solitude contre ce monde qu’il redoutait. Au lieu des brillans avocats du Temple qui s’étaient moqués de sa douceur et de sa tristesse, il ne vit autour de lui que de bonnes gens sans prétention et sans humeur, des personnes simples et non rustiques qui parvinrent à le réconcilier peu à peu, sinon avec l’humanité, du moins avec la vie. « Quand cette bonne madame Unwin, dit-il dans une de ses lettres, joue de la harpe auprès de moi, je sens mon âme se détendre, mon irritation se calmer, mes chagrins s’amortir, ma vie se renouveler ; ensuite nous nous promenons dans la forêt voisine : souvent il nous arrive de faire ensemble de véritables voyages, et les cloches du soir sonnent quand nous rentrons. — Alors je me sens très bien. — »

Après quelques années passées dans cette solitude, mistriss Unwin, qui, avec ce tact particulier aux femmes, avait compris