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Cowley, tout imprégné des arguties de l’école, le faux classique importé chez les Espagnols. La sphère des arts est vaste comme la nature, et il y a place pour tous dans la maison de mon père.

Ainsi l’on peut citer, même dans cette époque de langueur poétique, plusieurs noms qu’il faut placer hors de ligne, bien que leur époque les entrave et les gêne singulièrement. Goldsmith, qui eût écrit d’admirables poèmes dans une société autrement disposée, se contente de deux ou trois esquisses, pleines d’ame, il est vrai. Thompson, dont toute la vie se consacre à l’étude et à la reproduction des scènes naturelles, prend un langage emphatique, se sert de couleurs outrées, prodigue le verbiage et les mots sonores, et crée un poème, célèbre dans son pays, beaucoup trop vanté en France, poème solennel et guindé, souvent éloquent, mais monochrone, et qui n’est pas animé de ce sincère et naïf amour de la nature, sans lequel il est impossible de la chanter. Thompson ignore que, pour la copier avec bonheur, il faut que l’image, après avoir frappé l’œil du poète, soit descendue au fond de son cœur et s’y soit gravée. Quelque chose de frivole et de superficiel, d’orné et de faux, de prétentieux et d’élégant, s’était glissé dans la poésie anglaise. Il s’agissait de retrouver l’inspiration intérieure, le secret de l’émotion et de la sympathie. Cette rénovation était réservée à un solitaire, à un malade : il se nommait Cowper.

Son père, l’un des chapelains de Georges iii, était recteur d’un petit village du comté d’Hertford, nommé Berkhampstead, lorsque William, son sixième fils, vint au monde. C’était un enfant d’une constitution très débile et très frêle, que l’on ne conserva que par miracle, et qui, après avoir reçu à l’école du village les premiers élémens du latin et du grec, fut jeté tout à coup dans une école publique. Il était aussi timide que faible ; ses camarades exercèrent sur lui cette tyrannie du collége qui va jusqu’à la barbarie. Le pauvre enfant fut le jouet de sa classe, le souffre-douleurs de l’école. Toute son énergie, il la consacrait à se résigner, sans jamais imposer silence aux outrages par la vengeance, le ressentiment ou la fermeté. Il faut bien le dire, l’éducation publique, quels que soient ses avantages, développe les penchans hostiles et féroces de l’humanité. Ces murs de prison,