Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
REVUE DES DEUX MONDES.

pensée ? Ne disons donc pas qu’il faille se montrer indifférent à toutes les réformes ; elles ont des suites et des influences incalculables, selon qu’elles sont bien ou mal dirigées.

William Cowper, poète peu connu en France, écrivain dont la sève et le génie sont tout britanniques, a été le réformateur involontaire et bienfaisant de la littérature nationale. Pauvre solitaire ignoré, né vers le milieu du xviiie siècle, il a donné l’impulsion à tout le mouvement intellectuel auquel ont pris part les Walter Scott et les Byron. La première étincelle de ce magnifique incendie a jailli des pages de Cowper ; il a transformé la sphère intellectuelle de sa patrie ; et il l’a fait sans orgueil, sans fracas, sans outrecuidance, sans même se douter de son pouvoir. Son talent, fort isolé, fort original, et très réel, ne s’élevait pas à la plus grande hauteur ; mais il était profondément naturel ; il était parfaitement vrai. De son temps, la poésie artificielle était parvenue à dominer toute l’Angleterre ; j’entends par poésie artificielle, celle qui se fait avec des mots et peu d’idées, avec un agencement plus ou moins heureux de syllabes, avec une cadence toujours la même, avec des images usées que l’on cherche à rajeunir, avec des saillies mesquines et des descriptions de boudoir. La grande poésie de Shakspeare et de Milton était tombée à ce point d’avilissement et de débilité prétentieuse, lorsque le misantrope Cowper s’avisa d’écrire ; autour de lui régnaient de petits grands hommes, lilliputiens de la gloire : un nommé Merry, qui s’intitulait le Cruscantiste, et faisait des sonnets ; un Darwin, qui chantait les amours des plantes, son microscope à la main ; une miss Seward, qui rédigeait très agréablement des élégies à la lune : pléiade aux rayons glacés, qui s’éloignait étrangement du vieux génie national, du génie qui avait inspiré les vrais poètes.


Chez tous les peuples règnent tour à tour des phases différentes de poésie : elles suivent tantôt avec exactitude et de près, tantôt de loin et avec bizarrerie, les phases sociales. L’époque saxonne et monacale se confond avec les antiquités du moyen-âge, et nous ne la citons que pour mémoire ; l’époque normande a produit Chaucer, dont la gaieté railleuse et l’observation caractérisée rappellent les vieux fabliaux français ; le xvie siècle, avec son Shakspeare pour