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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

castillane ; on a prétendu soumettre le génie teutonique à la marche régulière du génie romain : aucun de ces essais n’a pu vivre. Laissez le progrès se faire, laissez l’intelligence se développer ; laissez agir les influences qui dorment au sein des masses. Ronsard nous aurait peut-être épargné plus d’un défaut littéraire ; peut-être une sève plus nationale aurait circulé dans tous les chefs-d’œuvre de la France, s’il n’avait pas joué au roi, s’il ne s’était donné pour l’Alexandre de la poésie, et s’il n’eût voulu, de gré ou de force, nous incorporer aux Romains. Mêlée à un esprit de collége très étroit, cette influence nous a singulièrement entravés ; il n’a fallu rien moins que le génie d’un Pascal, d’un Molière, d’un Bossuet, pour briser ce cercle de fer. En effet, un mouvement pareil à celui que Ronsard commanda laisse toujours après lui quelques vestiges, alors même que son ridicule se découvre et qu’il tombe dans le discrédit. Et si ce mouvement a été mal dirigé, s’il y a eu exagération, affectation, violence, si quelque chose de faux et de dangereux s’y est mêlé, l’avenir est sinistre.

Comptez les mauvaises influences qui ont circulé dans la littérature française. Que voudriez-vous en retrancher ? Au milieu des preuves de puissance, de fertilité, de facilité, que l’intelligence de notre pays a semées avec une si heureuse abondance, quelle tache originelle se fait sentir ? N’est-ce pas l’esprit d’imitation, la servilité de la copie, l’adhérence aveugle, non au génie, mais aux formes de l’antiquité ; l’idolâtrie superstitieuse de quelques règles surannées, la plupart du temps mal comprises ? Tous ces défauts sont chez Ronsard, tous ces malheurs datent de lui ; c’est de sa réforme gauchement tentée et poussée avec une exagération folle, que découlent nos erreurs et nos vices, et les calques maladroits de Pindare et d’Euripide, et les plates imitations de l’Italie. La tragédie pâle et décolorée de Lagrange-Chancel, est-ce autre chose que la tragédie de Jodelle, calquée sur le grec, remise en français moderne, et épurée par l’exemple de notre admirable Racine ? Froideur, faiblesse, arrangement symétrique, tout cela ne se retrouve-t-il pas chez Jodelle comme chez Lagrange ; et si Molière, Pascal, Bossuet, ont échappé à ces dangers, ne faut-il pas attribuer leur marche indépendante à l’énergie de leur intelligence, plutôt qu’à l’éducation primitive de leur