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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

c’est toujours pour nous révéler une douleur ignorée qui s’apaise en se confessant, une espérance ébranlée qui se raffermit dans son aveu, ou parfois un doute impie qui débute par le blasphème, et retourne à Dieu par le repentir. On s’est demandé sérieusement si l’élégie ainsi comprise n’est pas aujourd’hui la seule poésie possible ; sans nul doute, c’est la seule qui sympathise directement avec nos ennuis désenchantés, la seule qui se passe d’artifice, et qui défie hardiment la raillerie sceptique et dédaigneuse ; mais le trône de l’imagination ne lui appartient pas tout entier. Qu’elle soit pour les cœurs souffrans une consolation fidèle, qu’elle accueille avec une hospitalité constante les passions égarées, qu’elle étanche avec une discrétion divine les plaies élargies par l’abandon, tout cela est vrai, mais ce n’est pas la douleur qui donne les couronnes.

Le roman consacré à l’analyse des passions humaines touche aujourd’hui les cimes les plus hautes de la philosophie et de la poésie. Il a mis dans cette étude patiente tant de finesse et d’impartialité, il a dévoilé avec tant de courage les maladies qui nous dévorent comme le renard dévorait le Spartiate, et que chacun de nous met sa gloire à cacher ; il a démasqué tant d’égoïsmes hautains et d’impuissances blasphématrices, que personne, à coup sûr, ne peut contester sa pénétration et sa clairvoyance. Obligé de suivre à la trace les sentimens les plus fugitifs et les plus délicats, il a dû recourir à toutes les ressources de la langue. Il aborde naturellement, comme siennes, les questions les plus difficiles. Il embrasse d’un même regard les révoltes de la famille et les ambitions hypocrites. Il participe à la fois des conversations du Portique et des enseignemens de la chaire chrétienne. Il se plie à tous les tons, sans contrainte et sans gaucherie. Depuis les familiarités du style épistolaire jusqu’à la grandeur solennelle de l’épopée, depuis les mystiques épanchemens qui se glorifient dans la franchise jusqu’à la sévérité didactique de la prédication, il ne s’interdit aucune des formes de la pensée. C’est un retour naturel vers la toute-science des philosophes antiques. Le roman, dans ses métamorphoses multipliées, trouve moyen d’être tour à tour lyrique, élégiaque, dramatique, descriptif, et de fondre dans une harmonieuse unité toutes ces nuances si diverses. Il ne lui est pas permis, comme au roman pittoresque, de méconnaître l’enchaînement et la génération des actions humaines. Sur le terrain où il s’est placé, toutes