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DE LA CRITIQUE FRANÇAISE.

de leurs pas d’un chant de triomphe ; c’est la critique écolière. Il n’y a pas aujourd’hui un inventeur de quelque réputation qui n’ait auprès de lui, à ses ordres, une douzaine de secrétaires, empressés à recueillir sa parole, à recevoir, comme la manne céleste, la moindre parcelle de pensée qui s’échappe de ses lèvres. La critique écolière n’a qu’une loi, mais une loi inexorable : proclamer à toute heure, en tout lieu, à tout venant, la beauté souveraine de l’œuvre du maître. Chaque phrase obscure est une phrase méconnue. Les rimes sonores et littérales jusqu’à la niaiserie sont autant de richesses mystérieuses que la foule devrait adorer à deux genoux. Y a-t-il dans une tragédie ou un roman du maître un personnage impossible, dont le type ne se retrouve nulle part, que la raison se refuse à comprendre, qui viole du même coup la réalité humaine et la réalité historique, la critique écolière commence par s’écrier : Hosannah ! Puis, si elle ne peut débaucher à son enthousiasme l’indifférence rétive, elle s’exalte peu à peu jusqu’à l’indignation. Le siècle ne mérite pas le génie du maître ; publier de pareilles créations, les livrer à la multitude ignorante, c’est les profaner, c’est les souiller de gaieté de cœur. Pourquoi faut-il que son intelligence toute-puissante, qui vit avec Dieu dans une communion quotidienne, ne sache pas s’abstenir d’un vain désir de popularité ? Pourquoi ne pas demeurer dans une sainte solitude qui seule est bonne et salutaire aux âmes de cette trempe ? Ce qui étonne et répugne au goût vulgaire, ce qui paraît aux salons blasés monstrueux et difforme, ce qu’ils accusent de fièvre et de folie, c’est tout simplement la divine idéalisation d’une fantaisie trop grande pour se réaliser sur la terre. Tout est beau, tout est sacré dans l’œuvre du maître ; celui qui aperçoit une tache dans cet astre glorieux ne mérite pas les honneurs de la discussion ; c’est un ennemi.

Un jour, le grand homme devient Dieu, le disciple monte au rang d’apôtre. Pour compléter l’apothéose, il faut abolir le polythéisme ; pour assurer l’avènement de la religion nouvelle, il faut déclarer impies les autels qui sont encore debout. Tâche difficile et laborieuse ! mais où serait la gloire de l’apostolat, si les épreuves manquaient au courage ? où serait l’honneur de la prédication, si le troupeau du diocèse acceptait sans murmurer le nouvel évan-