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LETTRE POLITIQUE.

ce que l’Angleterre comptait d’honorables débris des vieux systèmes Fox et Canning, deux nuances distinctes, mais qui s’étaient entendues pour arriver à la direction des affaires. La révolution de juillet avait donné une forte impulsion à l’opinion des whigs ; il paraissait inévitable qu’il n’y eût pas une modification notable dans les idées et les principes du cabinet. L’Angleterre, ne pouvant pas se jeter dans les vieilles idées de la Sainte-Alliance, devait donc se rapprocher de la France, et les tories ne pouvaient le faire avec honneur au milieu de l’ébranlement général qu’avait donné aux opinions le principe de juillet. Sans doute tous les bruits qui circulaient sur les tories n’étaient pas vrais ; jamais le duc de Wellington n’avait conseillé au prince de Polignac ses coups d’état et de folie : mais enfin, les principes de la révolution française triomphaient, et les whigs seuls étaient capables de les comprendre et de s’y associer.

Sur ces entrefaites, M. de Talleyrand arriva à Londres ; il n’avait reçu ses instructions que du roi, et le roi avait-il eu d’autre pensée que celle de M. de Talleyrand ? Celui-ci avait eu pour la forme une conférence avec M. Molé, ministre des affaires étrangères, et c’était dans cette conférence que l’on avait posé, comme base de toutes relations diplomatiques, l’alliance avec l’Angleterre. M. de Talleyrand y exposa avec netteté toutes les espérances qu’il avait d’amener aux affaires un ministère whig, et la facilité qu’une telle modification de cabinet entraînerait dans les relations des deux puissances ; il ajouta : « Je pense, monsieur Molé, que vous partagez mes convictions sur la colonie d’Alger ; c’est de la gloriole et non point une affaire ; elle nous coûte cher, et nous pourrions en faire bon parti pour nous assurer l’alliance indéfinie de la Grande-Bretagne. » M. Molé ayant fait quelques sérieuses objections, M. de Talleyrand répondit avec quelque humeur : « Nous en recauserons plus tard ; l’affaire n’est pas mûre encore. » Là se bornèrent tous les rapports de l’ambassadeur et du ministre des affaires étrangères ; il n’en était pas besoin d’autres ; les instructions de M. de Talleyrand venaient de plus haut. C’est à cette conférence qu’on peut également reporter les différends qui s’élevèrent entre ces deux hommes politiques, qui, plus tard, ont tant influé sur les affaires générales.

Je crois donc pouvoir dire qu’à son arrivée à Londres, M. de Talleyrand n’avait de principes arrêtés qu’avec le roi Louis-Philippe ; tous deux étaient d’intelligence parfaite sur la question de notre alliance, et je dirai presque qu’ils s’entendaient sur l’abandon d’Alger. Louis-Philippe avait d’ailleurs envoyé à Londres plusieurs émissaires porteurs de lettres à ses vieux amis les whigs, qu’il avait tant connus pendant ses deux émigrations, et particulièrement en 1816 ; il savait que ceux-ci salueraient son