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veut, et ce qu’on sait, on le subit. Or, lequel vaut mieux de l’échafaud ou des galères à perpétuité ?

Mais, bonsoir, Paul, il se fait tard, dans une heure il fera grand jour, il faudra que je m’éveille avec les coqs qui sonneront leur fanfare matinale, et les chiens qui se mettront à hurler pour qu’on ouvre les portes de la cour, et ton frère Cardenio qui chante comme l’alouette au lever du soleil. Tu viendras samedi, n’est-ce pas ? Il fera, j’espère, un temps comme nous l’aimons : pas de lune, le ciel est à la gelée, les étoiles luiront et l’air sera sonore ; ton frère chantera son stabat, et nous irons l’entendre de loin, sous le grand sapin. Il fait bon de s’attendrir et de s’attrister quand on est ensemble. Mais seul, il faut s’interdire cela quand on est où nous en sommes. C’est pourquoi je t’écris, afin de n’aller me coucher qu’au moment où un sommeil accablant coupera court à toute réflexion un peu trop grave. Ô ciel, voilà donc ces gais convives, ces aimables vieillards, les voilà en face de leur chevet, et saisis de terreur à l’aspect des pensées qui les y attendent ! C’est pour cela qu’il faut s’endormir au lever du jour. C’est l’heure où le cauchemar quitte les rideaux du lit et n’a plus de pouvoir sur les hommes. Adieu, donne ma bénédiction à tes douze enfans.


ii.


Puisque tu ne peux pas venir aujourd’hui, je viens m’enfermer avec toi et causer par la voie de la plume et de l’encre avec ton ennui ; car tu t’ennuies, ce n’est rien de plus. Ne va pas t’imaginer que tu aies de chagrin. L’ennui est un mal assez grand, mais c’est après tout un mal très noble, et d’où peut sortir tout ce qu’il y a de plus beau dans l’âme humaine. Il ne s’agit que d’expliquer son ennui comme il faut, et d’en diriger les inspirations vers un but poétique. Voilà le diable ! tu n’es pas poète du tout. Tu détermines toutes choses, tu ne sais rester dans le doute sur quoi que ce soit.