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LETTRES D’UN ONCLE.

pauvre apparence, et dans ces étuis de parchemin il y a des ames bien lasses et bien flétries, mon camarade.

Bah ! de quoi vais-je parler ? nous avons été hier plus gais que jamais ; cependant tu nous manquais bien, mais nous avons bu à ta santé, et à force de faire des vœux pour toi, nous nous sommes tous un peu exaltés. Ma foi, Paul, il ne faut pas nier les biens que la Providence nous tient en réserve. Au moment où nous croyons tout perdu, la bonne déesse, qui sourit de notre désespoir, est là, derrière nous, qui entoure de clinquant un petit hochet bien joli, qu’elle nous met ensuite dans les mains, si doucement, qu’on ne soupçonne pas son dessein, car si nous pouvions imaginer qu’elle nous raille et qu’elle ne prend pas notre fureur au sérieux, nous serions capables de nous tuer, pour la forcer d’y croire. Mais nous espérons qu’elle est un peu intimidée de nos menaces, et qu’à l’avenir elle se conduira mieux à notre égard ; nous nous laissons aller peu à peu à regarder cette amusette qu’elle nous a donnée, et enfin nous en secouons les grelots tout en leur disant : Grelots de la folie, vous pouvez bien sonner tant que vous voudrez, nous n’y prendrons aucun plaisir. Mais nous les faisons sonner encore et nous les écoutons avec tant de complaisance, que bientôt nous nous faisons grelots nous-mêmes, et des rires et des chants de joie sortent de nos poitrines vides et désolées. Nous avons alors de bien beaux raisonnemens pour nous réconcilier avec la vie, tout aussi beaux que ceux qui nous faisaient renoncer à la vie la semaine précédente. Quelle mauvaise plaisanterie que le cœur humain ! Qu’est-ce donc que ce cœur-là dont nous parlons tous, tant et si bien ? D’où vient que cela est si bizarre, si mobile, si lâche à la souffrance, si léger au plaisir ? Y a-t-il un bon et un mauvais ange qui soufflent tour à tour sur ce pauvre organe de la vie ? Est-ce une ame, un rayon de la Divinité, que ce diaphragme qu’une tasse de café et un bon mot dilatent ? Mais si ce n’est qu’une éponge imbibée de sang, d’où lui viennent donc ces aspirations soudaines, ces tressaillemens, ces angoisses, espèce de cris déchirans qui s’en échappent quand de certaines syllabes frappent l’oreille, ou quand les jeux de la lumière dessinent sur le mur, avec la frange d’un rideau, l’angle d’une boiserie, certaines lignes fantastiques, profils ébauchés par le hasard, empreints de