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NAUFRAGE D’UN BATEAU À VAPEUR.

retrouvèrent pas un peu mouillés, mais intacts, au fond d’un sac repêché le lendemain, à grand’peine, après avoir passé une nuit sous l’eau.

Nous voilà donc à dix heures du soir sur les rochers, chacun assis mélancoliquement auprès de ce qu’il a sauvé, et gémissant sur ce qu’il a perdu, les uns regrettant leurs esquisses ou leur journal de voyage, les autres pleurant leurs billets de banque ; tous, deux heures auparavant, dînant gaiement dans une auberge flottante, en pleine civilisation ; et tout à coup, sur une plage solitaire, parmi des rochers affreux, dans la condition des naufragés qui échouent au bout du monde sur les côtes sauvages d’une île inhabitée.

Mais notre sort était encore plus semblable que nous ne pensions au sort de ceux qui sont jetés dans une île de l’Océan atlantique, peuplée par des antropophages, et n’osent pénétrer dans l’intérieur du pays, d’où les naturels les repoussent à main armée. En effet, les seuls êtres humains que nous vîmes arriver à notre aide furent des soldats qui nous avaient aperçus d’une tour voisine, située sur un haut promontoire et qui accouraient avec de bons fusils bien chargés, pour nous empêcher de quitter l’aimable séjour où nous nous trouvions.

Nous étions en quarantaine !

Dans les temps homériques, quand des étrangers étaient jetés sur la plage, par la tempête, on les regardait comme des victimes punies justement par le courroux des dieux, et on les immolait à Diane.

Au moyen-âge, d’après le même principe, on les dépouillait par droit d’épave, pour seconder autant que possible la vengeance du ciel qui se manifestait dans le naufrage de ces misérables ; c’était de la superstition et de la barbarie. — Maintenant il y a une autre superstition et une autre barbarie : c’est la quarantaine.

Je veux croire que cette superstition des lazarets, que j’ai entendu attaquer radicalement par les premiers médecins et les premiers négocians de certaine ville maritime où elle règne, je veux croire que cette superstition soit fondée sur quelque vérité, comme il s’en trouve au fond des croyances les plus chimériques ; mais il est certain qu’ici le préjugé est à côté du fait, l’erreur à côté de la