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NAUFRAGE D’UN BATEAU À VAPEUR.

on disait très haut : Il n’y a point de danger, sans en être bien persuadé dans le fond du cœur. Du reste, tous les passagers faisaient assez bonne contenance. Il y avait à bord plusieurs femmes, et l’on n’entendit pas un cri. Bientôt retentit cette exclamation chevaleresque : Embarquez les dames ! embarquez les dames ! Mais l’opération eût été difficile. Déjà une des deux embarcations avait été mise hors d’état de servir par la précipitation avec laquelle on avait voulu s’en emparer. Celle qui restait ne pouvait contenir que quelques personnes, et presque tout le monde aurait cherché à s’y jeter, s’il n’y eût pas eu d’autre moyen de salut, ce qui n’eût pas manqué de la faire chavirer. Dès le premier moment, un petit mousse s’y était blotti par précaution. Heureusement, pendant ce temps, nous approchions de terre ; ceux qui, comme moi, se préparaient à nager, voyaient diminuer rapidement l’étendue qu’ils auraient à parcourir. Ce qui était effrayant, c’était l’aspect de la côte, taillée entièrement à pic, de sorte que vis-à-vis le lieu du choc, il eût été absolument impossible d’aborder. Mais par bonheur, à peu de distance, se trouvait une petite anse, seul point où le rivage fut accessible, et c’est vers cette petite anse que nous nous dirigions. À mesure qu’on en approchait, on se rassurait sensiblement ; et quand le capitaine s’écria : Vous ne périrez pas, personne ne douta qu’il n’eût raison. Bientôt nous échouâmes, mais volontairement cette fois, à trente pas de terre. Tout danger était passé, il n’y avait plus aucun motif de se presser d’entrer dans la petite barque, qui, en deux ou trois voyages, déposa chacun de nous sain et sauf sur les rochers.

Maintenant, comment la chose était-elle arrivée ? Comment nous étions-nous perdus, et comment étions-nous sauvés ? Mille versions, mille accusations, mille récriminations circulèrent. — Une des explications les plus vraisemblables, c’est que l’homme qui tenait la barre, n’avait pas bien entendu le commandement du second. L’un est Corse et l’autre Provençal. Et puis, babord ressemble beaucoup à tribord, et a l’inconvénient de rimer trop richement avec lui. Ainsi, ce serait là ce qui aurait failli nous noyer : notre malheur serait un méfait de plus de la rime, à qui on peut en reprocher tant d’autres.

Quant à notre salut, nous le devons à la machine à vapeur ; et