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LES INDIENS DE LA PAMPA.

À une lieue de là était un village que les sauvages ont détruit ; quand nous nous y arrêtâmes, un silence de mort régnait dans ces cabanes dévastées ; pas un habitant, pas un être vivant, si ce n’est quelque volée de gallinazos sautillant sur les toits. Un pauvre nègre, arrêté dans sa fuite, eut les yeux arrachés, et on le brûla à petit feu dans la maison de ses maîtres : c’était précisément celle où nous fîmes halte. Deux autres montagnes, celles du Rosario, un peu plus loin dans l’intérieur, attirèrent aussi l’attention des sauvages : ils les entourèrent successivement ; mais inquiétés par des tirailleurs cachés dans les buissons, ils mirent le feu aux arbres du côté des habitations, et forcèrent ces malheureux à se rendre ; tous furent égorgés. Les troupes de Cordova arrivaient donc en toute hâte, cinq cents hommes de la provincia de San Luis accouraient aussi ; mais on ne les attendit pas, on les évita même, dit-on ; les Cordoveses jaloux se réservaient tout l’honneur de la journée. Les deux armées se rencontrèrent dans une belle plaine semée de petits arbres et parfaitement unie ; après une action sanglante, quatre-vingts fantassins restèrent sur la place, et le reste des forces de Cordova fut mis en déroute. Les vainqueurs redoublèrent d’audace ; ils inspiraient une telle crainte dans cette vallée dépeuplée, que les ossemens des morts furent laissés deux mois sans sépulture ; peut-être même ne restait-il pas assez d’habitans dans tout l’espace compris entre les deux Sierras pour leur rendre ce triste devoir. Les cinq cents Puntanos n’eurent point occasion de combattre, et tinrent la campagne. Quand les Indiens se portèrent sur la ville de San Luis, on y rassembla à grand’peine quarante fusils, mais on défendit, sous peine de mort, de faire feu si la troupe victorieuse n’attaquait pas ; heureusement la indiada passa outre, emmenant son riche butin sous les yeux des habitans. Le chef de la junta (San Luis est trop appauvri pour payer un gouverneur) nous a assuré lui-même que cette seule province a perdu plus de trente mille chevaux, soixante mille moutons, et une grande quantité de bœufs et de mulets ; environ quatre cents personnes ont péri victimes de cette terrible incursion.

Il y avait long-temps que la contrée n’avait tant souffert. Au temps des Espagnols, les attaques étaient rares, et, depuis les guerres de l’indépendance, les Républiques Argentines avaient de