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LES INDIENS DE LA PAMPA.

bler les troupeaux, recueillir le butin et piller en détail : parures, argent, sous quelque forme qu’il se présente, rien n’est oublié. Si par hasard un gaucho échappe au désastre, il se jette sur un cheval, s’enfuit à toute bride, et va semer l’alarme dans les environs. Alors on se hâte de toutes parts d’enfouir ses richesses ; chacun, monté le mieux qu’il peut, se met à galoper vers les lieux habités, où ce cri d’alerte, après avoir glacé de terreur toute la frontière, arrive enfin aux oreilles plus calmes des gens de l’intérieur. Alors seulement on se rassemble, on se cherche, on s’arme, on se met en mesure de se défendre. Il est impossible de se figurer quelle épouvante répandent dans la campagne ces mots terribles : los Indios ! los Indios !

Mais l’œuvre de destruction va vite ! Les Indiens savent de quel côté peuvent arriver les ennemis, et changeant brusquement leur marche, ils se plongent de nouveau dans le désert pour reparaître sur un autre point, échappant ainsi à toute poursuite, et mettant en émoi une immense étendue de pays. Que de sommes d’argent ont été ainsi perdues ! Celui qui a enterré ses piastres fortes et ses doublons est tué dans sa fuite, emportant son secret avec lui. Un jour, si jamais ces contrées sont délivrées de ce terrible fléau, le laboureur, en conduisant sa charrue, retrouvera ces trésors enfouis ; mais, combien de temps resteront-ils ainsi sans profiter à personne !

Souvent les forces des Indiens ne s’élèvent pas au-delà de quatre cents combattans ; mais l’impossibilité d’opposer aucune résistance, la perspective d’une mort certaine ou d’un éternel esclavage, les contorsions épouvantables de ces démons, leurs cris affreux, font une impression terrible sur l’esprit des gauchos. L’Indien charge avec une remarquable vitesse, tenant sous le bras sa lance longue de dix à douze pieds, formée d’un roseau flexible que le poids du fer fait trembler ; quand elle trouve une résistance, l’arme s’enfonce, et il est difficile de parer les coups de cette lance acérée dont la continuelle vacillation trompe le regard.

Une de ces hordes errantes se présenta, en janvier 1833, à la poste du Lobaton, dans la province de Cordova. Deux voyageurs se mettaient en route pour Buenos-Ayres, l’un colonel des troupes du Tucuman, l’autre Français, tous deux courageux, habitués à