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a eu aucune objection contre M. de Saint-Aulaire, si ce n’est celle d’une insuffisance bien reconnue pour la mission qu’il aurait à Londres. M. de Saint-Aulaire a de l’esprit, de bonnes manières ; il est parfaitement dans un salon : mais mettez-lui en mains une grande affaire, donnez-lui à apprécier une situation un peu large, un peu délicate, et son intelligence ne la comprendra pas ; il en apercevra le côté d’étiquette, la partie des faveurs de la cour ; mais le sens national et populaire, cela est en dehors de sa capacité. M. de Barante est l’ami de M. Guizot ; c’est l’expression la plus pure de l’esprit doctrinaire. Le jeter de la Sardaigne à Londres, le pas serait immense. M. de Barante, d’ailleurs, n’a point brillé à Turin ; son rôle s’est borné à une espèce de police de sainte-alliance contre les républicains et les propagandistes ; il avait l’œil plus attentivement fixé sur Grenoble, Gex et Genève, que sur Vienne et Milan. Comprendrait-il bien la portée de la révolution tory qui vient de s’opérer à Londres ? Les formes tant soit peu pédantesques de son esprit iraient-elles à cette action pratique qu’impose un immense concours d’affaires ?

De l’autre côté, M. Molé a été un moment en première ligne : je ne crois pas qu’il soit plus agréé que M. de Broglie, et je ne serais pas étonné que M. Guizot eût sacrifié son ami, à condition que M. Thiers sacrifierait son protégé ; je répéterai ici le mot protégé, parce que je ne conçois pas qu’un noble caractère comme M. Molé ait choisi un tel patronage. Le roi ne veut pas davantage de M. Molé en Angleterre, parce que ce n’est point un homme dont il soit sûr, quoiqu’il le comble de caresses. Toutes les soumissions qu’il reçoit de lui ne le rassurent pas sur ces changemens brusques qui arrivent dans l’esprit de M. Molé, et qui souvent prennent toute l’allure de l’indépendance. Aussi M. Thiers opposait-il M. de Rayneval en seconde ligne, comme l’expression de la quadruple alliance qu’on enverrait représenter à Londres. M. de Rayneval est un homme d’études et d’expériences, mais d’un esprit commun, et envisageant toutes les questions terre à terre. Présentez-lui une contestation privée, il la résoudra, la poursuivra, s’il le faut, auprès du gouvernement avec persévérance ; s’agit-il d’une difficulté de finances, s’il reçoit les ordres de son ministre, il la mènera à fin : mais offrez à son examen une question générale, un point de politique un peu élevé, cela dépasse son intelligence : M. de Rayneval a été partout, partout en seconde ligne, à Londres et à Saint-Pétersbourg ; ce ne fut que sous le ministère de M. de Polignac qu’il fut placé à l’ambassade de Vienne, ou il succéda à M. de Montmorency. La révolution de juillet l’a envoyé en Espagne : qu’y a-t-il fait ? Je le répète, il faut plus qu’un homme pratique en Angleterre.

Le choix royal a donc prévalu ; M. Sébastiani a été nommé. Tout le