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REVUE. — CHRONIQUE.

incertain, prêt à se grouper autour d’un chef. La position politique de M. Dupin étant ruinée, il ne lui fallait que quelques avances de l’opposition de gauche, pour qu’il vînt à elle ; et je dois dire que M. Odilon Barrot, par les concessions habiles qu’il a faites dans la séance de mardi et par le talent qu’il y a déployé, a conquis cette première place, qu’en aucune manière M. Dupin ne peut aujourd’hui lui contester. Désormais il faut que M. Dupin le sache bien, il n’est plus en première ligne ; il n’y a plus de tiers-parti proprement dit, mais une opposition en face d’un système et d’un ministère ; et cette opposition peut, sans se compromettre, en se fondant avec la gauche, adopter aujourd’hui les doctrines de M. Odilon Barrot ; car il y a eu du gouvernement dans ses idées, une certaine manière d’envisager les faits et les choses de la révolution de juillet qui lui assure un avenir dans la chambre. Ce ne sont plus des allégations vagues, un système qui menace les intérêts, mais une théorie de conservation et de progrès qui tôt ou tard doit trouver son expression au pouvoir.

Quant à la situation du ministère dans cette discussion, il y a un fait qui a dû frapper un homme de la portée de M. Guizot, c’est que son crédit sur la chambre des députés s’en va. Il y a quelque chose de vieux et d’usé dans les thèmes politiques de M. Guizot ; la profonde conviction où il est de la vérité pratique de certaines maximes qu’il s’est faites, l’entraîne à les répéter sans cesse à la tribune, de sorte que lorsque le ministre n’est pas assez bien inspiré pour donner à ses phrases une tournure pittoresque et éclatante, il est terne, monotone, ressasseur des mêmes idées et des mêmes faits. Les souvenirs qu’on peut opposer à M. Guizot sont tristes, et le jettent dans de perpétuels embarras, au milieu des interruptions de toute nature. Aussi, voyez comme M. Thiers a de plus franches allures, comme il est plus à l’aise au milieu de cette chambre révolutionnaire au fond, et qui ne secoue la révolution que parce qu’elle a peur. On lance les reproches de Gand à la tête de M. Guizot ; M. Thiers n’en est pas fâché, parce que cela élève d’autant son crédit, et écrase un collègue dont il a encore besoin, mais qu’il éloignera à la première crise. M. Guizot a pu voir le peu d’effet qu’avait produit son discours d’hier ; sa voix cave et sévère n’avait plus ce retentissement de terreur dans certaines fractions de la chambre ; il n’avait pour lui que les centres dévoués, et ceux-là changent à chaque mutation de pouvoir. M. Guizot a affaire au collègue le plus roué, à l’ami le plus perfide. M. Thiers travaille en sous main la presse pour qu’elle démolisse M. Guizot ; sous main, il travaille également les centres pour qu’ils l’abandonnent au profit de sa propre importance. Bientôt la lutte pour la présidence ne sera plus engagée entre le ministre de l’intérieur et le ministre de l’instruction publique, mais directement