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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

publié par un homme qui aurait un nom dans la science, obtiendrait sans doute du succès ; mais il faudrait, avant tout, que le savant, qui consentirait à s’en rendre le garant, fût un centre, une autorité assez forte pour résister aux exigences des médiocrités, et à qui personne n’eût à demander compte de ses choix ni de ses exclusions. Autrement, le volume deviendrait bientôt le pis-aller de gens auprès desquels un homme de mérite ne voudrait pas se compromettre.

M. de Raumer, qui prête son nom au Manuel en question, est avantageusement connu dans un certain monde comme historien. Il l’a été encore plus, il y a quelques années, comme censeur royal de Prusse ; mais censeur révolté contre l’autorité de sa corporation, censeur quasi-libéral, quasi-indépendant. Il y eut grande rumeur, puis enquête, puis l’affaire traîna avec une longueur tellement allemande, que nous ne savons plus ce qu’il en advint.

Le principal est que le censeur prussien ne censure pas rigoureusement les mémoires qu’il édite, et qu’il fait imprimer fort sagement à Leipzig. Le premier des mémoires du volume de 1835 est une bonne et mâle composition. Le sujet, la Guerre des bourgmestres, est plein d’intérêt et profondément attachant. L’auteur, M. Barthold, a entrepris de mettre en lumière un des coins négligés de ce vaste et magnifique tableau du XVIe siècle, et surtout la figure du plébéien Wüllenweber auquel il n’a manqué peut-être qu’une patrie plus étendue pour devenir un très grand homme. Quand la réforme de Luther commença à gagner le nord de l’Allemagne, les patriciens qui gouvernaient alors la république marchande de Lübeck, pressentant vaguement tout ce que cette doctrine renfermait de démocratie et de liberté, ne négligèrent rien pour l’étouffer. Le peuple gémissait sur la perte des prédications protestantes qui étaient déjà devenues un besoin pour lui ; mais habitué à respecter le pouvoir des chevaliers, il n’osait rien entreprendre contre eux. Peu à peu cependant la commune de Lübeck profita des demandes d’impôts que faisait le gouvernement aristocratique pour lui arracher le rappel des prédicateurs exilés et l’augmentation du comité de la commune. Le peuple se fit alors entendre. Au milieu de lui parut Jürgen Wüllenweber qu’on sait seulement avoir été un marchand obscur. Utilisant habilement le réveil de la force populaire, il arriva en peu de temps à mener la démocratie à la conquête du pouvoir. Les gentillâtres cédèrent, mais on exigea davantage. Le bourgmestre s’enfuit. Le peuple, par la voix de Wüllenweber, demanda au noble conseil compte de cette défection. On arrêta les conseillers et les sénateurs, et le conseil fut complété par des plébéiens ; en moins d’un an, la constitution de Lübeck était devenue toute démocratique, et les gentils-