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Dante.

vaient les habiter ; sur celle des guerriers, il y avait des trophées ; la figure de l’Espérance avait été peinte sur celle des exilés, les bosquets des muses sur celle des poètes, l’image de Mercure sur celle des artistes, le paradis sur celle des hommes de religion, et ainsi de suite pour les autres professions. Les logemens appropriés à chacune étaient de même ornés de peintures analogues. Les repas étaient alternativement égayés par les concerts des musiciens et par les jeux variés des bouffons et des farceurs.

« On voyait là des salles magnifiques, ornées de tentures, sur lesquelles avaient été peintes avec un art merveilleux des histoires rappelant les variations de la fortune. »

« Cane, poursuit le même auteur, invitait parfois à sa propre table les plus distingués de ses hôtes, et les deux qu’il y invitait le plus souvent étaient Gherardo da Castello, surnommé, à cause de sa franchise, le simple Lombard, et Dante Alighieri, personnage alors très célèbre, du génie duquel il était charmé. »

C’est ainsi que s’exprime Pancirola, d’après un des Gazadi da Reggio, historien du xive siècle, qui avait été long-temps proscrit, et qui, ayant reçu l’hospitalité de Can Grande, avait vu tout ce qu’il raconte.

Tout fait présumer que, conformément au témoignage de Gazadi, Dante fut en effet très bien reçu à la cour de Vérone, et n’eut d’abord que des raisons de s’y complaire. À l’époque où il y arriva, c’est-à-dire à la fin de 1316, ou au commencement de 1317, il était déjà avancé dans la composition de son Paradis, et il est certain qu’il continua à y travailler dans sa nouvelle retraite. Il y a plus, et, à s’en tenir à certaines indications, on serait tenté d’affirmer qu’il le termina là. Il existe en effet une longue épître latine de Dante, composée à Vérone, à la cour de Can Grande, dans le courant de 1317 ou 1318 ; et cette épître, adressée à Cane lui-même, présente toutes les apparences d’une dédicace à ce prince du poème du Paradis, dont elle contient en outre une analyse assez détaillée. Or, comme un auteur n’analyse pas et ne dédie pas un ouvrage non terminé, la dédicace et l’analyse du Paradis en impliquent l’achèvement. Toutefois l’observation n’est que spécieuse, et non décisive, et il y a tout lieu de croire, malgré la dédicace citée, que le poème du Paradis n’était pas terminé en 1318, et ne le fut pas à la cour de Vérone. Au reste, la lettre à Can Grande est fort curieuse pour la connaissance de l’espèce de théorie poétique que Dante s’était faite, en combinant arbitrairement une foule d’idées disparates, théorie qu’heureusement il oubliait dans le transport de la composition, n’écoutant plus alors que ses émotions et son génie. Cette épître abonde en expressions de la plus haute admiration et