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repassa l’Apennin, et se retira en Romagne. Un historien de Cesène dit expressément qu’il se rendit à Ravenne, sur l’invitation de Guido Novello, neveu de Guido l’Ancien, auquel il était sur le point de succéder dans la seigneurie de cette ville. Cette circonstance me paraît d’autant plus vraisemblable, qu’il y avait déjà, dès cette époque, et sans doute plus tôt, des relations entre les seigneurs da Polenta et le poète exilé. C’était à Guido Novello que Dante avait adressé sa canzone sur la mort de Henri vii.

Du reste, s’il est vrai que Dante accepta dès lors l’hospitalité des Polentani, il ne fit pas cette fois un long séjour chez eux. Tout autorise à présumer qu’avant la fin de 1314, il était à Lucques, chez Uguccione della Faggiuola. J’ai déjà parlé de ce chef, comme de l’un des plus distingués du parti gibelin de la Romagne et de la Toscane ; mais je ne puis me dispenser d’en dire ici quelques mots de plus, à cause de l’intimité qui s’était établie entre lui et Dante.

Depuis 1302, notre poète avait eu de fréquentes occasions de se lier avec Uguccione, l’un des meneurs de ces Gibelins avec lesquels les Blancs exilés de Florence s’étaient ligués, pour faire la guerre aux Noirs restés les maîtres du gouvernement florentin. Cette liaison était devenue encore plus intime durant l’expédition de Henri vii en Italie, expédition dans laquelle Uguccione avait figuré comme l’un des plus ardens et des plus habiles partisans de l’empereur, qui l’avait laissé comme son vicaire à Gênes, lors de son passage dans cette ville. L’empereur mort, les Pisans, se trouvant dans une position assez critique et ayant besoin de se donner un capitaine de guerre renommé, appelèrent à ce poste Uguccione, qui ne tarda pas à y faire parler de lui. Au mois de juin 1314, il s’empara de Lucques, et s’en fit proclamer seigneur absolu. Il fut, dès ce moment, regardé comme le chef des Gibelins de la Toscane, et remporta, en cette qualité, de grands avantages sur les Florentins, et sur leurs alliés Guelfes. La fameuse bataille de Monte-Catini qu’il gagna sur eux, le 29 août 1315, mit le comble à sa gloire militaire.

On croit généralement que Dante, qui avait publié son poème de l’Enfer, on ne sait à quelle époque, mais certainement avant 1315, l’avait dédié à Uguccione ; et il y a lieu de croire que celui-ci, devenu tout-puissant à Pise, et maître absolu à Lucques, saisissant cette occasion de reconnaître l’honneur insigne que lui avait fait ce poète, l’invita à se rendre auprès de lui, dans cette dernière ville. Il est sûr au moins que Dante fit quelque séjour à Lucques, et tout porte à présumer que ce fut sous la seigneurie d’Uguccione, c’est-à-dire de 1314 à 1316.

Mais, ce qui importe plus que la date de ce séjour, ce sont ses conséquences pour notre poète. Ce fut à Lucques qu’il connut une jeune dame