Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
Dante.

temps de son exil, le zèle de parti avait commencé à se refroidir en lui : il y a plus ; il est certain que, dès ce temps-là, il était devenu plus qu’à demi Gibelin en théorie. Toutefois, dans tout ce que l’on sait de sa vie, de 1302 à 1310, il n’y pas un seul trait qui ne constate qu’il était resté Guelfe dans sa conduite. Il n’avait jamais perdu tout espoir d’être rappelé de son exil, et dans cet espoir tour à tour défaillant et ravivé, il avait gardé les ménagemens convenables avec le parti gouvernant Florence. Sa liaison avec le marquis Morello Malespina, un des héros des Guelfes-Noirs, avait bien eu, de sa part, l’air d’une rupture avec les Guelfes-Blancs ; mais cette rupture le rapprochait du parti qui gouvernait à Florence, ce n’était point là un acte de Gibelin.

Ce n’est qu’à la nouvelle de la prochaine descente de Henri vii, et dans la fermentation prodigieuse d’idées et de projets causée par cette nouvelle, que l’on voit Dante se déclarer brusquement et franchement Gibelin, Gibelin enthousiaste, trouvant à peine dans les trésors de l’imagination la plus hardie des termes suffisans à l’expression de ses sentimens.

La première chose écrite par Dante, sous l’influence de ces sentimens nouveaux, ce fut une épître en italien, adressée à toutes les puissances de l’Italie, et à tous les Italiens, pour les exhorter à recevoir dignement l’empereur, le sauveur qui s’approchait. Cette épître, curieuse au-delà de toute expression pour la vie de Dante, est d’un bout à l’autre une espèce de dithyrambe, où l’enthousiasme et le ravissement éclatent en métaphores, en images, en figures bibliques ; car Virgile et les auteurs latins étaient trop pauvres, trop timides, trop retenus, pour lui fournir les termes dont il avait besoin dans un tel moment, et pour une telle occasion. Voici quelques traits de cette épître :

« Le nouveau jour commence à répandre sa clarté, montrant devers l’Orient l’aurore qui dissipe les ténèbres de la longue misère : le ciel resplendit sur ses lèvres, et son paisible éclat rassure les augures des nations. Nous allons donc goûter l’allégresse attendue, nous qui séjournons depuis si long-temps dans le désert. Le soleil de la paix va se lever, et la justice qui ne rendait plus de clarté, torpéfiée qu’elle était dans les voies de la rétrogradation, va reverdir aussitôt que paraîtra la splendeur. Ceux qui ont faim et qui désirent boire se rassasieront à la clarté de ses rayons, et ceux qui se complaisent aux iniquités seront confondus par la face de celui qui brille. Le lion de la tribu de Juda a prêté une oreille compatissante aux mugissemens de la prison universelle… Réjouis-toi désormais, ô Italie si digne de pitié, et qui seras bientôt enviée par le monde entier, par les Sarrazins eux-mêmes ; car ton époux qui est la