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rejeter bien loin de la poésie, dans toutes les émotions et tous les soucis de la politique.

L’empereur Albert d’Autriche fut assassiné le 1er mai de l’année 1308, par Jean, son neveu. Le 27 novembre de la même année, Henri, comte de Luxembourg, fut proclamé à sa place roi des Romains, sous le nom de Henri vii. Au mois d’août de l’année suivante, le nouvel empereur, ayant convoqué les états germaniques à Spire, y déclara sa résolution solennelle de descendre en Italie, pour s’y faire couronner et y rétablir l’ordre. Cette résolution prise, il se mit en mesure de l’exécuter dès l’année suivante.

La nouvelle seule d’une semblable résolution devait être et fut, pour l’Italie, un grand évènement. Il y avait soixante ans que les Italiens n’avaient vu, parmi eux, de prince allemand investi du titre d’empereur, et que tout s’était passé, en Italie, à peu près comme s’il n’y avait plus eu d’empire. Les factions nationales avaient poursuivi leurs vieux démêlés entre elles avec leurs seules forces, sans rien craindre ou rien espérer de l’intervention impériale. L’apparition en Italie d’un empereur suivi d’une armée allemande allait changer, pour ces factions, non-seulement la proportion de leurs forces, mais les motifs et le but de leur lutte. C’était sous une bannière étrangère que les Gibelins allaient guerroyer pour le maintien ou la restauration de leurs privilèges ; c’était contre un pouvoir étranger que les Guelfes allaient être obligés de défendre l’indépendance et la liberté par eux conquises depuis plus de deux siècles. Chaque parti fit ses apprêts pour cette situation nouvelle, et déjà, bien avant que Henri vii eût franchi les Alpes, toute l’Italie était dans une attente, dans un mouvement extraordinaires.

Où était Dante, et que faisait-il au milieu de tout ce mouvement, c’est-à-dire au commencement de l’année 1310 ? On ne peut répondre avec assurance à la première question : il y a seulement quelque apparence que notre poète avait dès-lors quitté la Lunisiane et le marquis Morello Malespina, pour retourner à Vérone auprès des La Scala. Mais peu importe qu’il fût ici ou là : ce qui est intéressant, c’est de savoir quelles furent ses impressions et ses résolutions dans des circonstances auxquelles nul Italien ne pouvait être indifférent ; or, c’est sur quoi il n’y a point de doute. Si, parmi quelques millions d’Italiens heureux, enchantés de l’arrivée prochaine de Henri vii, il fallait nommer le plus heureux, le plus enchanté de tous, c’est Dante que l’on devrait nommer. Ce moment de sa vie en est indubitablement l’un des plus remarquables : il doit être distingué et noté.

Dante, jusqu’à l’époque de son exil, avait été Guelfe, aussi Guelfe et d’autant de manières qu’on pouvait l’être. Mais, dès les premiers