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L’horrible y domine avec une franchise plus majestueuse. Ses déclamations sont encore plus emphatiques et ses exécutions plus sanglantes ; ses meurtres sont plus atroces et ses adultères plus déhontés ; ses bâtards font plus de bruit sur la scène, et ses brigands ont plus de crimes en réserve. Voici une reine de tragédie qui s’assied paisiblement sur six cadavres, et qui boit une coupe remplie de sang, assise sur ces six cadavres. Un drame italien, représenté en 1550, finit ainsi. J’en citerais cinquante, non moins épouvantables.

Mais écoutez le prologue de l’Orazia. Une femme entre en scène, vêtue de rouge, portant des ailes, une trompette et une branche de laurier à la main ; c’est la Renommée. Pendant le xvie siècle, cette forme de prologue eut beaucoup de faveur ; Shakspeare l’employa ; je ne sais si l’on en trouve aucune trace avant l’Arétin.

« Écoutez, dit le prologue, peuples d’Italie ; voici les actes de vos ancêtres ; c’est ainsi qu’ils étaient glorieux, et que leur paganisme rachetait sa souillure en la trempant dans la forge brûlante de la valeur. Nous ne ferons pas comme ces poètes de notre temps, qui posent timidement leurs pas serviles dans les traces laissées par la muse antique ; nous n’inventerons pas non plus des fables romanesques ; des contes, tels que ceux que la bouche des nourrices verse dans l’oreille crédule des enfans ; nous n’emprunterons pas les vieilles toiles peintes de la mythologie grecque, toiles dont les couleurs tombent et s’effacent ; non, nous abandonnerons aux pédans tous ces haillons qui brillent et tous ces masques menteurs. La grave histoire, fertilisée par notre invention sévère et simple, reparaîtra debout sur ces planches, et marchera dans toute son antique majesté. Voici les hommes même que le grand Tite-Live a peints, et que le vigoureux Ennius a chantés. Vous verrez les pompes et les sacrifices, les cérémonies et les sermens, la place publique et le foyer domestique des Italiens d’autrefois : c’est là le spectacle que la Renommée vous annonce et que vous réserve une muse candide, audacieuse et mâle. On verra bien tout à l’heure quels sont ceux qui doivent emporter la palme de la gloire, ou les écoliers du pédantisme, ou les élèves de la nature. »

Ainsi se révélait, même dans le prologue d’une tragédie,